Dans les couloirs faiblement éclairés du pouvoir commercial canadien, une bataille d’envergure historique se prépare entre deux géants du commerce de détail dont les logos sont aussi familiers aux Canadiens que la feuille d’érable. Canadian Tire Corporation a lancé une manœuvre juridique agressive ciblant le vaste portefeuille de marques déposées de la Compagnie de la Baie d’Hudson, ce qui pourrait remodeler le paysage commercial à travers le pays.
Des documents judiciaires déposés la semaine dernière révèlent la tentative ambitieuse de Canadian Tire d’acquérir le contrôle de plus de 300 marques déposées actuellement détenues par La Baie d’Hudson en difficulté. La collection comprend des symboles et expressions iconiques canadiens qui ont défini les 354 ans d’histoire de la HBC en Amérique du Nord — du motif rayé distinctif des couvertures à points jusqu’aux marques patrimoniales comme Zellers et Morgan’s.
“Ce n’est pas qu’une simple transaction commerciale — c’est une offre pour l’ADN commercial canadien,” a déclaré Markus Chen, analyste de commerce de détail chez Thompson Financial Group. “Canadian Tire tente essentiellement d’acheter des morceaux de notre identité nationale qui sont sous la tutelle de la Baie d’Hudson depuis avant la Confédération.”
Les documents juridiques, soumis à la Cour fédérale du Canada, soulignent l’intérêt de Canadian Tire à acquérir les droits sur des noms incluant “The Bay,” “La Baie,” et même “Hudson’s Bay Company” — des marques déposées qui génèrent collectivement des millions en revenus de licence annuellement pour HBC. Les conditions financières n’ont pas été divulguées dans les documents publics, mais des initiés de l’industrie estiment que le portefeuille pourrait être évalué à plus de 120 millions de dollars.
La Baie d’Hudson, autrefois chaîne de grands magasins dominante au Canada, a fait face à une pression financière croissante ces dernières années. Le détaillant a fermé son magasin phare au centre-ville de Winnipeg en 2020 après 94 ans d’exploitation et a lutté pour maintenir sa pertinence face à l’évolution des habitudes des consommateurs et à la concurrence en ligne. L’entreprise est redevenue privée en 2020 dans le cadre d’une transaction de 1,9 milliard de dollars dirigée par le président Richard Baker.
Pour Canadian Tire, qui exploite près de 1 700 points de vente sous diverses enseignes, dont Sport Chek et Mark’s, l’acquisition de ces marques déposées représente une expansion stratégique de son univers de marques. L’entreprise a signalé une croissance record du commerce électronique au dernier trimestre, avec une augmentation des ventes numériques de 62 % par rapport à l’année précédente.
“Canadian Tire cherche effectivement à consolider l’identité de la vente au détail canadienne,” a expliqué Patricia Wong, avocate en propriété intellectuelle chez Morrison & Blaine LLP. “Ce ne sont pas que des logos — ce sont des pierres angulaires culturelles qui portent une énorme valeur de marque et une reconnaissance des consommateurs.”
La demande juridique révèle également l’intérêt de Canadian Tire à prendre le contrôle des marques déposées olympiques de La Baie d’Hudson, qui ont gagné en importance pendant les Jeux d’hiver de Vancouver en 2010 lorsque les mitaines rouges iconiques sont devenues un phénomène national, vendant plus de 3,5 millions de paires.
Les représentants de la Compagnie de la Baie d’Hudson ont refusé de commenter directement les procédures judiciaires lorsqu’ils ont été contactés, déclarant seulement qu’ils “valorisent leur propriété intellectuelle et prendront les mesures appropriées pour protéger les actifs essentiels au patrimoine et à l’avenir de l’entreprise.”
Les observateurs de l’industrie notent que cette démarche survient dans un contexte de pression croissante sur les grands magasins traditionnels. La Baie d’Hudson a fermé plusieurs emplacements depuis 2020, tandis que Canadian Tire a élargi son offre de produits pour inclure davantage d’articles ménagers, de meubles et de vêtements — des catégories traditionnellement dominées par des grands magasins comme La Baie.
Le litige sur les marques représente plus qu’une escarmouche d’entreprise; c’est symbolique de l’environnement commercial changeant du Canada où le patrimoine seul ne garantit plus la survie. Quelle que soit l’entreprise qui en sortira victorieuse, elle gagnera un levier important pour se connecter avec les consommateurs canadiens à travers certains des actifs de marque les plus reconnaissables du pays.
Alors que le processus juridique se déroule devant la cour fédérale, les Canadiens suivront de près pour voir quel détaillant contrôlera finalement ces symboles de notre patrimoine commercial. La question demeure de savoir si ces marques iconiques prospéreront sous une nouvelle propriété ou deviendront simplement des notes de bas de page dans l’histoire du commerce de détail au Canada.