Dans un moment décisif pour le parcours continu du Canada vers la réconciliation, le Centre national pour la vérité et réconciliation a annoncé son intention de publier les noms d’environ 140 membres du clergé qui ont travaillé dans le tristement célèbre système des pensionnats autochtones du Canada. Cette divulgation sans précédent, prévue pour plus tard cette année, marque une étape cruciale dans la reconnaissance de l’héritage douloureux qui continue d’affecter les communautés autochtones à travers le pays.
“Cette divulgation représente plus qu’une simple liste de noms—il s’agit de responsabilité et de reconnaître toute la vérité sur ce qui s’est passé dans ces institutions,” a déclaré Raymond Frogner, chef des archives au Centre national pour la vérité et la réconciliation, s’exprimant depuis le siège de l’organisation à Winnipeg.
La publication imminente fait suite à des années d’efforts minutieux de documentation et de vérification, examinant les dossiers des archives gouvernementales et ecclésiastiques. Plusieurs de ces documents sont restés scellés ou lourdement caviardés jusqu’à récemment, les organisations religieuses ayant historiquement résisté à la divulgation complète des dossiers du personnel liés au système des pensionnats.
Pour les survivants comme Eleanor Sunchild, une ancienne élève de 78 ans qui a fréquenté trois pensionnats différents en Saskatchewan dans les années 1950, l’annonce suscite des émotions mitigées.
“Nous avons attendu des décennies pour ce genre de transparence,” a confié Sunchild à CO24 lors d’une entrevue téléphonique. “Plusieurs de mes camarades de classe n’ont pas vécu assez longtemps pour voir ce jour. Bien que cela n’efface pas ce qui s’est passé, cela reconnaît que nos histoires comptent et sont enfin crues.”
Le système des pensionnats, qui a fonctionné au Canada pendant plus d’un siècle jusqu’à la fermeture du dernier établissement en 1996, a arraché environ 150 000 enfants autochtones à leurs familles et communautés. Ces institutions, financées par le gouvernement fédéral et gérées principalement par des églises chrétiennes, visaient à assimiler les enfants autochtones en les séparant de leurs langues, cultures et traditions.
Les rapports de la Commission de vérité et réconciliation ont documenté des abus physiques, psychologiques et sexuels généralisés dans ces écoles, ainsi que des négligences ayant contribué à des milliers de décès dus à des maladies, à la malnutrition et à d’autres causes évitables.
Murray Sinclair, ancien président de la Commission de vérité et réconciliation, a souligné l’importance de cette divulgation dans une déclaration écrite : “Nommer est une partie essentielle de la vérité. Sans identifier les responsables, nous ne pouvons pas comprendre pleinement ni aborder la nature systémique de ce qui s’est produit.”
La liste comprend des membres du clergé de diverses confessions qui ont travaillé dans les pensionnats entre 1910 et 1973, selon les responsables des archives. Chaque nom a été vérifié à travers de multiples sources, incluant des registres scolaires, des documents ecclésiastiques et des témoignages de survivants.
Les institutions religieuses ont montré des degrés de coopération variables avec le processus. Alors que certaines confessions ont volontairement partagé leurs archives, d’autres ont nécessité des ordonnances judiciaires ou des pressions persistantes de la part des groupes de survivants et des défenseurs politiques.
“L’Église catholique en particulier a été réticente à fournir un accès sans entrave aux dossiers du personnel,” a noté Dr. Cynthia Wesley-Esquimaux, présidente de la vérité et réconciliation à l’Université Lakehead. “Cette annonce représente une percée en matière de responsabilité que les survivants réclament depuis longtemps.”
La divulgation inclura des informations sur les établissements où chaque membre du clergé a travaillé, leurs rôles et les années de leur présence. Cependant, les responsables du centre ont souligné que cette publication ne constitue pas des accusations de méfaits contre des individus spécifiques.
Le ministre des Relations Couronne-Autochtones Marc Miller a décrit la divulgation à venir comme “une étape nécessaire dans l’engagement du Canada envers la vérité et la réconciliation,” tout en reconnaissant que “beaucoup plus de travail reste à faire.”
Les dirigeants autochtones à travers le Canada ont accueilli favorablement l’annonce, bien que plusieurs expriment leur frustration quant à la durée du processus. La Chef nationale de l’Assemblée des Premières Nations Cindy Woodhouse a déclaré : “Ces informations auraient dû être disponibles il y a des décennies. Chaque retard a aggravé la douleur des survivants et de leurs familles.”
Le moment choisi pour cette publication revêt une importance particulière car il coïncide avec le dixième anniversaire de la publication du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation, qui comprenait 94 appels à l’action, dont plusieurs n’ont toujours pas été mis en œuvre.
Le centre prévoit de coordonner des services de soutien pour les survivants et les communautés avant la divulgation, reconnaissant le potentiel de traumatisme renouvelé lorsque ces noms deviendront publics. Des conseillers en santé mentale spécialisés dans les traumatismes intergénérationnels seront disponibles grâce à des partenariats avec des organisations de guérison autochtones à travers le pays.
Alors que le Canada continue de faire face à ce sombre chapitre de son histoire, une question demeure au premier plan : cette transparence tant attendue mènera-t-elle à la guérison profonde et à la réconciliation que les communautés autochtones ont recherchées, ou deviendra-t-elle simplement un autre rappel douloureux de promesses non tenues?