Le matin où mon père s’est effondré dans la cuisine familiale reste gravé dans ma mémoire avec une douloureuse clarté. Ce qui a suivi fut une attente de 37 minutes pour une ambulance—chaque seconde s’étirant en ce qui semblait être des heures—puis un voyage éprouvant à travers un système de santé qui ploie sous son propre poids. Ce n’était pas dans un avant-poste isolé, mais en banlieue de Montréal, où des soins de santé de classe mondiale sont censés être la norme, pas l’exception.
La réalité vécue par ma famille ce jour-là reflète ce que d’innombrables Canadiens affrontent : un système de santé en crise profonde. Les principes qui ont jadis fait de notre système public de santé une source de fierté nationale sont de plus en plus en contradiction avec les expériences vécues par les patients et les travailleurs de la santé.
Lorsque Tommy Douglas a défendu l’assurance-maladie universelle, il envisageait un système où des soins de qualité seraient accessibles à tous les Canadiens, indépendamment de leurs moyens financiers. Cette vision, bien que noble, semble désormais de plus en plus lointaine alors que les urgences fonctionnent au-delà de leur capacité, les médecins de famille deviennent une espèce en voie de disparition, et les spécialistes ont des listes d’attente qui s’étirent sur des années plutôt que des mois.
Les statistiques dressent un tableau inquiétant. Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, les temps d’attente aux urgences ont augmenté de près de 12 % au cours des cinq dernières années. Dans certaines provinces, près d’un Canadien sur cinq n’a pas de médecin de famille. Ce ne sont pas que des chiffres—ils représentent des personnes réelles dont la qualité de vie et parfois la survie sont en jeu.
Les travailleurs de la santé eux-mêmes sont pris dans ce maelström. Infirmières et médecins rapportent des niveaux d’épuisement sans précédent, beaucoup quittant complètement la profession. Une enquête récente publiée dans le Journal de l’Association médicale canadienne a révélé que 46 % des professionnels de la santé ont envisagé de changer de carrière depuis la pandémie—un chiffre stupéfiant qui devrait servir d’alarme pour les décideurs politiques.
La pandémie a simplement exposé et accéléré ce qui était déjà un système en déclin. La COVID-19 n’a pas créé la crise des soins de santé; elle a simplement arraché le pansement qui recouvrait une plaie qui suppurait depuis des décennies. Des années de contraintes budgétaires, une planification inadéquate pour une population vieillissante et l’incapacité à s’adapter aux besoins changeants en matière de santé nous ont laissés vulnérables.
Certaines provinces ont commencé à expérimenter la privatisation de certains services, suscitant un débat intense. Les partisans soutiennent que les options privées pourraient soulager la pression sur le système public, tandis que les critiques craignent un système à deux vitesses qui mine le principe même d’accès universel. Cette tension entre idéalisme et pragmatisme définit une grande partie du discours actuel sur les soins de santé au Canada.
Ce qui manque souvent dans ces discussions, c’est l’élément humain. Derrière chaque statistique se trouve une famille comme la mienne, attendant une ambulance, assise anxieusement dans une salle d’attente des urgences, ou luttant pour naviguer dans un système labyrinthique afin d’accéder à des soins essentiels.
Les solutions ne sont pas simples, ni purement financières. Bien qu’un financement accru soit certainement nécessaire, jeter de l’argent sur des problèmes structurels sans s’attaquer aux problèmes sous-jacents revient à traiter les symptômes tout en ignorant la maladie. Nous avons besoin d’une réforme globale qui prenne en compte tout, du recrutement et de la rétention des travailleurs de la santé aux modèles innovants de prestation de services et aux soins préventifs.
Les solutions de santé numériques, les équipes de soins collaboratifs et les services communautaires offrent des avenues prometteuses, mais leur mise en œuvre nécessite une volonté politique et un soutien public. La question demeure de savoir si les Canadiens sont prêts à engager les conversations difficiles nécessaires pour réimaginer les soins de santé pour le 21e siècle.
Mon père a finalement reçu les soins dont il avait besoin, bien qu’avec des retards qui auraient pu s’avérer catastrophiques dans des circonstances différentes. Son histoire a eu une issue positive, mais pour trop de Canadiens, les défaillances de notre système de santé ont eu de graves conséquences.
En regardant vers l’avenir, nous devons nous demander quel type de système de santé nous voulons—et ce que nous sommes prêts à faire pour y parvenir. Les principes d’universalité, d’accessibilité et de soins de qualité restent aussi importants que jamais, mais les moyens de les atteindre peuvent nécessiter une nouvelle réflexion audacieuse et des choix difficiles.
Le système de santé canadien se trouve à la croisée des chemins. Choisirons-nous une voie de réforme significative, ou continuerons-nous à regarder un système autrefois excellent se détériorer? La réponse façonnera non seulement nos expériences en matière de soins de santé, mais aussi notre identité nationale pour les générations à venir.
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