La légendaire politesse canadienne pourrait bientôt devenir un lointain souvenir, alors que Statistique Canada révèle une tendance préoccupante : les Canadiens passent nettement moins de temps avec leurs amis, particulièrement ceux en pleine période d’activité professionnelle.
Une analyse approfondie des données sur l’emploi du temps recueillies entre 2015 et 2022 montre que les Canadiens âgés de 25 à 54 ans—la colonne vertébrale démographique de notre main-d’œuvre—ont connu la plus forte baisse d’interactions sociales, avec une diminution du temps passé avec des amis de près de 40 minutes par jour en moyenne.
“Il ne s’agit pas simplement de manquer l’heure de l’apéro ou les rassemblements du week-end,” explique Dr. Melissa Chen, sociologue à l’Université de Toronto. “Ces tendances représentent un changement fondamental dans la façon dont les Canadiens équilibrent les exigences professionnelles et leur besoin de connexion sociale—et la balance penche clairement vers l’isolement.”
Le rapport, publié mardi par Statistique Canada, attribue cette récession sociale à plusieurs facteurs, avec en tête de liste la montée du télétravail et des horaires professionnels de plus en plus exigeants. Bien que la pandémie de COVID-19 ait accéléré cette tendance, les chercheurs soulignent que le déclin était déjà en cours avant 2020.
“Nous observons les effets à long terme d’une culture du travail ‘toujours connecté’,” affirme Raymond Desjardins, analyste principal chez StatCan. “Même avec la levée des restrictions sanitaires, de nombreux Canadiens se retrouvent piégés dans des schémas qui privilégient la productivité aux relations personnelles.”
Les résultats dressent un tableau particulièrement inquiétant pour les professionnels urbains. Dans les centres métropolitains comme Toronto, Vancouver et Montréal, les adultes en âge de travailler ont déclaré consacrer en moyenne seulement 37 minutes par jour à des activités sociales en dehors de leur foyer—contre 78 minutes en 2015.
Fait intéressant, les données révèlent que les Canadiens ne remplacent pas simplement les interactions en personne par des communications numériques. Le temps passé sur les médias sociaux et les plateformes de messagerie est resté relativement stable, ce qui suggère que les connexions virtuelles ne comblent pas le vide laissé par les rencontres en face à face.
Les experts en santé mentale mettent en garde contre les implications sérieuses de ce retrait social. Dr. Sarah Winters de l’Association canadienne pour la santé mentale note que “l’interaction sociale régulière est un puissant rempart contre le stress, l’anxiété et la dépression. Alors que les Canadiens se retirent des amitiés, nous risquons de voir augmenter les problèmes de santé mentale dans l’ensemble de la population.”
Les implications économiques sont tout aussi préoccupantes. Des recherches du Conseil canadien des affaires suggèrent que la diminution des liens sociaux est corrélée à une réduction de la collaboration en milieu de travail, de l’innovation et, ultimement, de la productivité—créant un résultat paradoxal où travailler plus conduit à accomplir moins.
Certains employeurs canadiens prennent note de ce phénomène. L’entreprise technologique Maple Innovations a récemment mis en place les “Vendredis Connexion”, où les employés sont encouragés à terminer leur travail à 15h et à s’engager dans des activités sociales. “Nous avons constaté des améliorations spectaculaires dans la cohésion d’équipe et la créativité,” rapporte la PDG Danielle Laporte. “Il s’avère que donner aux gens du temps pour être humains ensemble les rend meilleurs dans leur travail.”
Les gouvernements provinciaux commencent également à s’attaquer à ce problème. Le ministère du Travail de la Colombie-Britannique envisage une législation qui établirait un “droit à la déconnexion” similaire aux politiques déjà mises en œuvre dans plusieurs pays européens.
Alors que les Canadiens naviguent dans ce paysage social en mutation, la question devient de plus en plus urgente : dans notre quête de réussite professionnelle et de stabilité économique, quels liens sociaux durables sacrifions-nous, et à quel prix pour notre bien-être collectif?