Dans une démarche sans précédent qui a divisé tant les législateurs que les citoyens, le gouvernement fédéral canadien a présenté le projet de loi C-2, la « Loi sur le renforcement des frontières canadiennes », qui propose des changements radicaux au système d’asile et d’immigration du pays. Cette législation controversée vise à faire face aux pressions croissantes aux points de passage frontaliers non officiels tout en redéfinissant l’approche du Canada face à la migration irrégulière d’une manière qui a déclenché un intense débat national.
Le ministre de l’Immigration Marc Miller a dévoilé le projet de loi plus tôt cette semaine, le décrivant comme une réponse nécessaire aux « défis migratoires en évolution » qui ont mis à rude épreuve les ressources frontalières du Canada ces dernières années. Le projet de loi accorderait aux autorités des pouvoirs élargis pour refouler les demandeurs d’asile aux points d’entrée non officiels, affectant particulièrement ceux qui tentent de traverser à des corridors populaires comme le chemin Roxham entre le Québec et New York.
« Il ne s’agit pas de fermer nos portes à ceux qui sont véritablement dans le besoin », a déclaré Miller lors d’une conférence de presse à Ottawa. « Il s’agit de créer un système plus ordonné et gérable qui respecte nos obligations internationales tout en protégeant l’intégrité de nos frontières. »
Cette législation représente la réforme la plus importante du système de réfugiés du Canada depuis la mise en œuvre de l’Entente sur les tiers pays sûrs avec les États-Unis en 2004. Selon les changements proposés, les personnes qui ont déjà vu leur demande d’asile rejetée dans des pays dotés de systèmes de détermination du statut de réfugié comparables feraient l’objet d’un traitement accéléré et d’un renvoi potentiel.
Les critiques, dont l’Association canadienne des libertés civiles et Amnistie internationale Canada, ont condamné le projet de loi comme un dangereux recul par rapport aux engagements humanitaires du Canada. « Cette législation criminalise effectivement l’acte de chercher refuge », a déclaré Anna Shea, spécialiste des droits des réfugiés chez Amnistie internationale. « Elle contredit à la fois l’esprit et la lettre du droit international des réfugiés. »
Les retombées politiques ont été tout aussi divisives. Le chef de l’opposition conservatrice, Pierre Poilievre, a critiqué le projet de loi comme étant « trop peu, trop tard », plaidant pour des mesures encore plus strictes, tandis que le chef du NPD, Jagmeet Singh, a exprimé des inquiétudes quant à l’impact humanitaire potentiel, particulièrement sur les groupes vulnérables fuyant la persécution.
Les données d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada montrent que les demandes d’asile ont atteint des niveaux sans précédent, avec plus de 92 000 demandes traitées en 2023 seulement—une augmentation de 46 % par rapport aux chiffres d’avant la pandémie. Cette hausse a contribué à une crise du logement dans les grands centres urbains et a exercé une pression considérable sur les services d’établissement à travers le pays.
Les implications économiques du projet de loi demeurent controversées. La Chambre de commerce du Canada a prudemment accueilli les mesures qui pourraient mener à des flux migratoires plus prévisibles, notant que « les entreprises ont besoin de certitude dans la planification de leur main-d’œuvre ». Cependant, les groupes de défense des travailleurs avertissent que la restriction de l’asile pourrait affecter des secteurs fortement dépendants des nouveaux arrivants, notamment la santé, l’agriculture et l’hôtellerie.
Les réactions provinciales ont considérablement varié. Le premier ministre du Québec, François Legault, a salué la législation comme « un pas dans la bonne direction » pour sa province, qui a supporté le plus gros des traversées irrégulières. Pendant ce temps, David Eby de la Colombie-Britannique a exprimé son inquiétude quant aux impacts humanitaires potentiels tout en reconnaissant la nécessité d’une réforme systémique.
Les experts juridiques prédisent que le projet de loi fera face à des contestations constitutionnelles s’il est adopté. La professeure Audrey Macklin de la Faculté de droit de l’Université de Toronto a noté : « Le projet de loi soulève de sérieuses questions concernant la conformité avec l’article 7 de la Charte concernant la sécurité de la personne, ainsi que les obligations du Canada en vertu de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. »
Le Parlement débattra de la législation au cours des prochaines semaines, le gouvernement poussant pour son adoption avant la pause estivale. Alors que les Canadiens sont aux prises avec des valeurs concurrentes de compassion et de sécurité frontalière, une question demeure centrale dans cette conversation nationale : le Canada peut-il équilibrer sa tradition humanitaire avec les défis pratiques de la gestion de la migration dans un paysage mondial de plus en plus complexe?