Les lumières fluorescentes crues des banques alimentaires de Montréal sont devenues un décor trop familier pour des milliers de nouveaux visages depuis le début de la pandémie. Derrière chaque chiffre des statistiques croissantes sur l’insécurité alimentaire se trouve une personne avec une histoire—beaucoup qui n’auraient jamais imaginé avoir besoin d’aide pour mettre de la nourriture sur leur table. Cette dure réalité a rassemblé plus de 200 intervenants au premier Sommet sur l’insécurité alimentaire de Montréal cette semaine, marquant un moment décisif dans l’approche canadienne face à la faim.
“Nous ne pouvons plus traiter l’insécurité alimentaire comme une question caritative—c’est un échec de politique publique,” a déclaré Lori-Ann Livingston, directrice générale de la Coalition alimentaire communautaire de Montréal, en ouvrant cette rencontre historique au Palais des congrès. “Quand un enfant montréalais sur cinq va à l’école le ventre vide, nous ne parlons pas seulement de nourriture—nous parlons de notre avenir collectif.”
Le sommet arrive à un moment critique, alors que Banques alimentaires Canada rapporte une utilisation record à travers le pays. Le Québec a connu une augmentation de 33 pour cent des visites aux banques alimentaires depuis 2019, près de 40 pour cent des utilisateurs étant des bénéficiaires de première fois. Ces statistiques reflètent les pressions économiques plus larges qui frappent les ménages canadiens de multiples directions.
Les économistes présents au sommet ont souligné la tempête parfaite de facteurs alimentant cette crise. “Nous assistons aux effets composés de la reprise post-pandémique, de l’inflation, des coûts du logement et des salaires stagnants créant une pression sans précédent sur les budgets des ménages,” a expliqué Dr. Martine Beauchamp, professeure d’économie à l’Université de Montréal. “Pour beaucoup de familles, la nourriture devient le poste budgétaire flexible—celui qu’elles sacrifient quand le loyer augmente.”
Ce qui a distingué ce sommet des conférences habituelles était son approche orientée vers l’action. Plutôt que de simplement discuter du problème, les ateliers se sont concentrés sur la mise en œuvre de solutions concrètes selon trois axes : réforme des politiques, infrastructure communautaire et interventions économiques.
Dans le domaine politique, les participants ont élaboré une plateforme complète appelant à des changements aux programmes d’aide sociale du Québec, notamment l’indexation des prestations à l’inflation et la création de suppléments nutritionnels spécialisés pour les populations vulnérables. “Les chiffres ne concordent tout simplement pas quand l’aide sociale de base fournit 800 $ par mois alors que les appartements d’une chambre à Montréal dépassent en moyenne 1 200 $,” a noté l’analyste en politique sociale Jean-Philippe Tremblay.
Le sommet a également mis en valeur des modèles communautaires innovants déjà prometteurs. Le Corridor de sécurité alimentaire de Rosemont—un système de quartier reliant fermes urbaines, installations de transformation et centres de distribution—a démontré comment les systèmes alimentaires localisés peuvent accroître la résilience tout en créant des emplois. “Nous avons réduit les coûts alimentaires de 22 pour cent pour les ménages participants tout en créant 15 emplois à salaire décent,” a rapporté la coordinatrice du projet, Sophia Chen.
L’aspect peut-être le plus frappant était la présence de dirigeants d’entreprises aux côtés des groupes de défense traditionnels. Les grands épiciers Loblaw, Metro et Sobeys ont envoyé des représentants qui ont participé à des conversations inconfortables mais nécessaires sur les pratiques de prix et le gaspillage alimentaire. “Nous reconnaissons que nous devons faire partie de la solution,” a déclaré Claude Bergeron, directeur régional de Metro. “Aujourd’hui, nous annonçons notre engagement à rediriger 100 pour cent des déchets alimentaires comestibles vers des partenaires communautaires d’ici 2026.”
Les perspectives autochtones ont joué un rôle central tout au long des débats. “La souveraineté alimentaire signifie renouer avec les systèmes alimentaires traditionnels qui ont soutenu nos communautés pendant des milliers d’années,” a expliqué l’aîné mohawk William Deer dans son discours d’ouverture. “Ces systèmes ne concernaient pas seulement la subsistance—ils concernaient la relation avec la terre et entre nous.”
Le sommet de deux jours s’est conclu par la formation d’un Conseil permanent de sécurité alimentaire de Montréal comprenant divers intervenants chargés de mettre en œuvre le plan d’action élaboré pendant la rencontre. Le conseil fera rapport trimestriellement sur les indicateurs de progrès et maintiendra l’élan entre les sommets annuels.
“Ce que nous avons commencé ici représente un changement fondamental dans notre façon d’aborder la faim,” a résumé la mairesse Valérie Plante dans ses remarques de clôture. “Montréal s’engage à réduire l’insécurité alimentaire de 50 pour cent d’ici cinq ans grâce à cette approche globale.”
Alors que les participants quittaient le centre des congrès, beaucoup ont exprimé un optimisme prudent quant à la voie à suivre. “Pour la première fois, j’ai l’impression que nous traitons la maladie, pas seulement les symptômes,” a réfléchi l’organisateur communautaire Ibrahim Hassan. “Mais le véritable test sera de savoir si ces engagements se traduiront par moins de réfrigérateurs vides dans nos quartiers.”
Alors que notre ville s’engage dans cet effort ambitieux pour garantir qu’aucun Montréalais ne souffre de la faim, la question demeure : pouvons-nous vraiment construire un système alimentaire équitable dans un cadre économique qui continue d’élargir les disparités, ou la sécurité alimentaire exige-t-elle que nous repensions nos relations économiques fondamentales?