Dans une proposition audacieuse qui pourrait fondamentalement remodeler le paysage aérien canadien, le Bureau de la concurrence a recommandé d’autoriser la propriété étrangère complète des compagnies aériennes canadiennes opérant exclusivement sur des vols intérieurs. Cette recommandation surprenante survient dans un contexte de préoccupations croissantes concernant la concurrence limitée et les tarifs aériens élevés qui frustrent depuis longtemps les voyageurs canadiens à travers le pays.
Le rapport marquant du Bureau, publié hier, identifie les règles restrictives de notre pays en matière de propriété étrangère comme un obstacle majeur à une concurrence significative sur le marché intérieur du transport aérien. Actuellement, l’investissement étranger dans les compagnies aériennes canadiennes est plafonné à 49 pour cent, avec une restriction supplémentaire limitant les intérêts de vote à seulement 25 pour cent—des réglementations que le Bureau suggère maintenant comme entravant le développement d’un marché véritablement compétitif.
“Le cadre réglementaire existant a créé un environnement où les Canadiens paient systématiquement plus cher pour les voyages aériens que nos homologues internationaux,” a déclaré Matthew Boswell, Commissaire de la concurrence, dans une déclaration accompagnant le rapport. “Permettre la propriété étrangère totale des compagnies aériennes opérant exclusivement sur des routes intérieures pourrait apporter l’investissement et la concurrence dont notre marché a désespérément besoin.”
Le rapport arrive à un moment critique pour le secteur de l’aviation canadien, qui a fait l’objet d’un examen intense suite à l’effondrement de plusieurs transporteurs à bas prix et aux plaintes persistantes concernant la qualité du service et les prix. Les analyses du secteur indiquent que les passagers canadiens paient environ 30% de plus que les voyageurs américains pour des vols comparables, une disparité que le Bureau attribue en partie à une pression concurrentielle insuffisante.
Air Canada et WestJet, qui contrôlent ensemble plus de 80% de la capacité intérieure, ont prévisiblement exprimé des inquiétudes concernant la proposition. Dans une déclaration, Air Canada a qualifié la recommandation de “myope”, soutenant qu’elle “ne reconnaît pas l’importance stratégique de maintenir le contrôle canadien sur les infrastructures de transport critiques.”
Le ministre des Transports Pablo Rodriguez a accusé réception du rapport mais est resté non engagé, déclarant que son ministère “examinerait soigneusement les recommandations tout en équilibrant les considérations concurrentielles avec les objectifs de sécurité nationale et de politique des transports.”
La proposition a recueilli le soutien de groupes de défense des consommateurs et d’analystes commerciaux qui la considèrent comme une étape nécessaire pour remédier aux tarifs aériens notoirement élevés du Canada. Le Conseil national des lignes aériennes du Canada a cependant répliqué que les règles de propriété étrangère ne sont pas le principal obstacle à la concurrence, pointant plutôt vers les frais d’aéroport élevés, les frais de sécurité et les taxes sur le carburant qui font des coûts de l’aviation canadienne parmi les plus élevés au monde.
“Bien que l’ouverture des restrictions de propriété puisse attirer de nouveaux entrants, nous devons aborder les problèmes fondamentaux de structure des coûts qui font du Canada un endroit coûteux pour exploiter une compagnie aérienne,” a déclaré Jeff Morrison, président du Conseil.
Des précédents internationaux pour une telle libéralisation existent. L’Australie et la Nouvelle-Zélande autorisent la propriété étrangère à 100% des compagnies aériennes nationales depuis des années, ce qui a entraîné une concurrence accrue et des tarifs généralement plus bas. L’Union européenne permet de même à tout transporteur basé dans l’UE d’opérer dans tout le bloc, créant un marché plus intégré et compétitif.
“Les preuves d’autres juridictions suggèrent que l’assouplissement des restrictions de propriété, lorsqu’il est fait de manière réfléchie, peut considérablement bénéficier aux consommateurs grâce à une concurrence accrue, plus de routes et des prix plus bas,” a noté l’économiste des transports Dr. Anming Zhang de l’Université de la Colombie-Britannique.
La recommandation du Bureau entre maintenant dans une période de consultation publique, avec une réponse formelle du gouvernement fédéral attendue d’ici le début de l’année prochaine. Si elle est mise en œuvre, elle représenterait le changement le plus significatif de la politique aérienne du Canada depuis des décennies et pourrait potentiellement ouvrir la porte à de grandes compagnies aériennes internationales établissant des filiales canadiennes concentrées exclusivement sur les routes intérieures.
Alors que ce débat politique se déroule, la question centrale demeure: le Canada privilégiera-t-il la protection de ses transporteurs établis ou embrassera-t-il un marché plus ouvert qui pourrait enfin offrir l’environnement de voyage aérien compétitif que les Canadiens attendent depuis longtemps? Dans un pays défini par de vastes distances, où le voyage aérien est souvent essentiel plutôt qu’optionnel, les enjeux ne pourraient être plus élevés.