Alors que la vague argentée des baby-boomers atteint l’âge de la retraite, les systèmes de santé provinciaux à travers le Canada se préparent à ce que les experts décrivent comme un règlement de comptes financier sans précédent. Le changement démographique menace de submerger des budgets de santé déjà tendus, créant potentiellement une tempête parfaite de coûts croissants et de ressources diminuantes qui pourrait remodeler le paysage des soins de santé canadien pour les décennies à venir.
“Nous nous tenons au bord d’une falaise démographique,” explique Dr. Michael Stevenson, économiste de la santé à l’Université de Toronto. “La proportion de Canadiens de plus de 65 ans passera d’environ 18 pour cent aujourd’hui à près de 25 pour cent d’ici 2036. Il ne s’agit pas simplement d’une poussée temporaire—cela représente une restructuration fondamentale de notre population.”
Les ministères provinciaux de la santé font face à une pression croissante, les dépenses de santé pour les Canadiens de plus de 65 ans étant en moyenne quatre fois plus élevées que pour les jeunes adultes. En Ontario seulement, les dépenses de santé pour les aînés devraient augmenter de 24 milliards de dollars par an d’ici 2030, selon une récente analyse provinciale. La Colombie-Britannique et l’Alberta font face à des trajectoires similaires, les coûts de santé des aînés devant consommer jusqu’à 42 % des budgets provinciaux de santé d’ici une décennie.
Les demandes imminentes en matière de soins de santé vont au-delà de la simple démographie. Les aînés d’aujourd’hui vivent plus longtemps avec de multiples conditions chroniques qui nécessitent des soins complexes et continus. Les données de l’Institut canadien d’information sur la santé montrent que près de 75 % des Canadiens de plus de 65 ans ont au moins une condition chronique, tandis que 40 % en gèrent deux ou plus.
“Le défi n’est pas seulement que nous avons plus d’aînés,” note Dr. Elaine Wong, spécialiste en gériatrie à l’Hôpital général de Vancouver. “C’est que la médecine moderne a transformé des conditions autrefois mortelles en maladies chroniques gérables qui nécessitent des soins soutenus et coûteux pendant de nombreuses années.”
Les autorités sanitaires provinciales ont commencé à mettre en œuvre des réformes stratégiques pour faire face à la vague à venir. Le Québec a élargi les services de soins à domicile de 35 % au cours des cinq dernières années, tandis que la Saskatchewan a été pionnière dans des modèles de soins intégrés qui réduisent les taux d’hospitalisation chez les aînés souffrant de conditions chroniques. Ces initiatives visent à déplacer les soins des milieux hospitaliers coûteux vers des approches communautaires plus durables.
Les implications financières s’étendent au-delà des soins de santé dans une planification économique provinciale plus large. “Les dépenses de santé consomment déjà entre 40 et 45 % des budgets provinciaux,” explique l’analyste financier Jordan Matthews. “Sans restructuration significative ou nouvelles sources de revenus, les provinces devront faire des choix difficiles entre le financement des soins de santé, l’éducation, l’infrastructure et d’autres services essentiels.”
Certaines provinces ont déjà commencé à explorer des mécanismes de financement controversés. La récente discussion de l’Alberta sur d’éventuelles primes de soins de santé et l’examen par la Nouvelle-Écosse de l’évaluation des moyens pour certains services signalent des changements potentiels par rapport aux principes de couverture universelle qui ont défini les soins de santé canadiens depuis des générations.
Les experts en santé publique préconisent des stratégies axées sur la prévention qui pourraient atténuer les coûts à long terme. “Chaque dollar investi dans les soins préventifs et l’intervention précoce permet d’économiser environ quatre dollars en coûts de soins aigus à long terme,” affirme Dr. Alisha Patel, chercheuse en santé publique à l’Université McMaster. “Mais la prévention nécessite un investissement initial à un moment où les budgets sont déjà tendus.”
Le rôle du gouvernement fédéral reste controversé. Bien qu’Ottawa ait promis d’augmenter les transferts en matière de santé aux provinces, les montants sont nettement inférieurs aux besoins prévus. Les tensions politiques entre les gouvernements fédéral et provinciaux compliquent davantage les efforts de planification coordonnée.
Pour les Canadiens ordinaires, particulièrement ceux des générations plus jeunes, les implications vont au-delà des préoccupations politiques abstraites. Les participants à la main-d’œuvre actuelle devront probablement supporter des charges fiscales accrues tout en recevant potentiellement des services réduits lorsqu’ils atteindront eux-mêmes l’âge de la retraite.
Alors que les ministres provinciaux de la santé se réunissent le mois prochain à Ottawa pour aborder la crise imminente, des questions fondamentales sur la durabilité restent sans réponse. Le Canada maintiendra-t-il son engagement envers les soins de santé universels face aux pressions démographiques, ou assistons-nous au début d’une restructuration significative de nos principes de soins de santé? Les décisions prises dans les années à venir façonneront non seulement les budgets provinciaux, mais aussi la santé et la sécurité financière des générations à venir.