Dans la vaste mosaïque des terres agricoles canadiennes s’étendant de la Nouvelle-Écosse à la Colombie-Britannique, un chœur grandissant d’incertitude résonne parmi les producteurs alimentaires de la nation. Alors que l’emprise de l’hiver se desserre et que la planification printanière commence, les agriculteurs canadiens et les intervenants du secteur agricole se retrouvent à naviguer dans une ambiguïté politique qui menace de miner la stabilité du secteur à un moment critique pour la sécurité alimentaire.
“Nous prenons actuellement des décisions d’investissement cruciales qui affecteront la production alimentaire pour les années à venir, mais nous le faisons dans un vide politique,” explique Margaret Wilson, agricultrice céréalière de troisième génération de la Saskatchewan. “L’absence d’une stratégie agricole fédérale cohérente nous laisse deviner tout, des impacts de la tarification du carbone aux priorités commerciales.”
Ce sentiment résonne dans toutes les communautés agricoles du Canada, où les producteurs ont observé avec une inquiétude croissante que les signaux politiques du gouvernement fédéral semblent de plus en plus fragmentés. Le Partenariat canadien pour une agriculture durable (PCAD) récemment annoncé promettait 3,5 milliards de dollars de financement sur cinq ans, mais les leaders de l’industrie soutiennent que le cadre manque de la vision globale nécessaire pour répondre aux défis interconnectés auxquels le secteur est confronté.
L’Union nationale des fermiers a été particulièrement vocale concernant cette déconnexion politique. “Ce que nous voyons est une approche fragmentaire où les initiatives climatiques, les objectifs d’exportation et la sécurité alimentaire nationale sont traités comme des enjeux séparés plutôt que comme des priorités intégrées,” note Darrin Qualman, directeur de la politique sur la crise climatique de l’UNF. “Les agriculteurs ont besoin de clarté sur la façon dont ces pièces s’emboîtent avant de s’engager dans des stratégies de production à long terme.”
L’ambiguïté politique survient à un moment particulièrement difficile pour l’agriculture canadienne. Des reportages récents de CO24 Affaires ont souligné comment les événements météorologiques extrêmes, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et les tensions géopolitiques ont créé une complexité opérationnelle sans précédent pour les producteurs alimentaires. Ces défis sont aggravés par l’inflation qui fait grimper les coûts des intrants et la sensibilité aux prix des consommateurs affectant la dynamique du marché.
Les données de Statistique Canada révèlent que les enjeux sont considérables. L’agriculture et l’agroalimentaire contribuent à plus de 143 milliards de dollars annuellement au PIB du Canada et emploient environ 2,3 millions de Canadiens. La performance à l’exportation du secteur—atteignant 82,2 milliards de dollars en 2022—a été un rare point positif économique pendant des temps turbulents, mais les experts de l’industrie avertissent que ce succès pourrait être difficile à maintenir sans orientation politique stratégique.
“D’autres puissances agricoles comme l’Union européenne et les États-Unis ont publié des feuilles de route claires pour leurs secteurs agricoles jusqu’en 2030,” explique Dr. Evan Fraser, directeur de l’Institut alimentaire Arrell de l’Université de Guelph. “Ces cadres fournissent à leurs producteurs des avantages concurrentiels en matière de planification et d’investissement dont les agriculteurs canadiens sont actuellement privés.”
Le vide politique a créé d’étranges alliances, avec des groupes traditionnellement opposés qui trouvent une cause commune. Les organisations environnementales et les associations agricoles conventionnelles appellent conjointement à des approches intégrées qui reconnaissent la gestion écologique et la viabilité économique comme des priorités complémentaires plutôt que concurrentes.
Dans une couverture de Nouvelles Canada le mois dernier, le ministre de l’Agriculture Lawrence MacAulay a reconnu ces préoccupations, déclarant qu’un cadre politique agricole complet est “en cours d’élaboration.” Cependant, les responsables du ministère ont refusé de fournir des calendriers spécifiques ou des détails sur le processus de consultation, frustrant davantage les intervenants désireux d’apporter une contribution significative.
Les ministres provinciaux de l’agriculture sont également entrés dans la mêlée, plusieurs remettant publiquement en question l’engagement du gouvernement fédéral envers la coordination des politiques. Le ministre de l’Agriculture de l’Alberta, RJ Sigurdson, a récemment déclaré aux médias provinciaux: “Nous avons besoin qu’Ottawa cesse de traiter l’agriculture comme une réflexion après coup et commence à la reconnaître comme le secteur essentiel qu’elle est pour la sécurité économique et alimentaire du Canada.”
Le consensus émergent parmi les économistes agricoles est qu’une politique efficace doit aborder simultanément plusieurs dimensions critiques: l’adaptation au climat, la compétitivité internationale, la sécurité alimentaire nationale, le développement économique rural et la succession des exploitations agricoles pour la prochaine génération. La complexité de ces défis interconnectés exige une réponse politique sophistiquée qui a jusqu’à présent été insaisissable.
Pour les agriculteurs sur le terrain, l’absence d’orientation claire se traduit par une incertitude quotidienne. “J’envisage des investissements importants dans la technologie d’irrigation pour m’adapter aux changements des régimes de précipitations,” explique Jean Tremblay, qui exploite une ferme diversifiée dans les Cantons de l’Est au Québec. “Mais sans savoir comment les réglementations sur l’eau pourraient changer ou quel soutien pourrait être disponible, je joue essentiellement avec l’avenir de ma famille.”
À l’approche du printemps et du début d’une nouvelle saison de croissance, les agriculteurs du Canada poursuivent leur travail essentiel au milieu de cette incertitude politique. Leur capacité à s’adapter et à innover malgré ces défis témoigne de la résilience qui caractérise depuis longtemps l’agriculture canadienne—mais les experts de l’industrie avertissent que cette résilience ne devrait pas être tenue pour acquise.
Alors que les Canadiens reconnaissent de plus en plus l’importance stratégique de la capacité de production alimentaire nationale dans un monde instable, une question fondamentale émerge: notre système alimentaire peut-il prospérer sans la clarté politique que ses intendants recherchent désespérément? La réponse pourrait déterminer non seulement l’avenir de l’agriculture canadienne, mais aussi notre sécurité alimentaire collective pour les décennies à venir.