Les procédures habituellement posées d’une salle d’audience de Montréal ont sombré dans le chaos hier lorsque le fondateur de Just For Laughs, Gilbert Rozon, a perdu son sang-froid pendant le contre-interrogatoire dans son procès civil en cours pour agression sexuelle, marquant un tournant dramatique dans une affaire qui a capté l’attention nationale.
Rozon, visiblement agité après des heures de questionnement intensif sur des allégations remontant à plusieurs décennies, a soudainement frappé du poing sur la barre des témoins et crié à l’avocat de la plaignante : « Vous déformez mes paroles depuis deux jours maintenant ! Ça suffit ! » L’explosion a provoqué une suspension immédiate ordonnée par le juge Stéphane Sansfaçon, qui a plus tard réprimandé toutes les parties pour qu’elles maintiennent le décorum malgré la nature émotionnellement chargée de la procédure.
L’homme d’affaires de 69 ans fait face à des allégations de cinq femmes qui réclament 1,3 million de dollars en dommages pour des incidents qu’elles affirment s’être produits entre 1980 et 2016. Les plaignantes, partie d’une action collective permise en vertu du code civil québécois, ont fourni des témoignages détaillés décrivant des avances non désirées, des attouchements inappropriés et des agressions sexuelles présumées.
« Ce à quoi nous assistons est l’aboutissement d’années de traumatisme qui sont enfin abordées dans un forum public », a déclaré l’analyste juridique Marie Beauchamp, qui suit le procès depuis son début. « L’intensité émotionnelle démontre à quel point cette affaire est importante, non seulement pour les parties impliquées, mais aussi pour la façon dont notre système judiciaire traite les allégations d’agression sexuelle historiques. »
L’action civile fait suite au procès criminel de Rozon en 2020, où il a été acquitté des accusations de viol et d’attentat à la pudeur remontant à 1980. Ce verdict avait déclenché des manifestations devant le palais de justice et relancé le débat sur les défis liés à la poursuite de cas d’agression sexuelle vieux de plusieurs décennies en cour criminelle, où la norme de preuve est au-delà de tout doute raisonnable.
Les procédures civiles québécoises fonctionnent selon un seuil de preuve différent – la prépondérance des probabilités – offrant aux plaignantes une autre voie pour obtenir justice. Les experts juridiques notent que cette différence a rendu les tribunaux civils des lieux de plus en plus importants pour les survivantes d’agression sexuelle.
« Les procès civils permettent aux victimes de raconter leur histoire et potentiellement de recevoir une compensation même lorsque des condamnations criminelles ne sont pas obtenues », a expliqué Johanne Trudel, une défenseure des droits des victimes non liée à l’affaire. « Ce qui est remarquable dans l’affaire Rozon, c’est comment elle démontre que des personnalités puissantes qui ont pu échapper aux conséquences criminelles peuvent tout de même faire face à une responsabilité significative. »
Le procès a également mis en lumière le mouvement #MeToo dans l’industrie du divertissement canadienne, avec des témoins évoquant une culture du silence qui aurait protégé Rozon malgré des rumeurs persistantes sur son comportement. Plusieurs anciens collègues ont comparu comme témoins, décrivant un environnement où les femmes étaient informellement averties d’éviter de se retrouver seules avec le dirigeant.
Les documents judiciaires déposés révèlent que Rozon a constamment nié toutes les allégations, soutenant que toute rencontre sexuelle était consensuelle. Son équipe de défense a questionné pourquoi les accusations n’ont fait surface qu’après que le mouvement #MeToo ait pris de l’ampleur, suggérant que ce timing mine la crédibilité.
Les implications financières pour Rozon vont au-delà des 1,3 million de dollars réclamés par les plaignantes. Les analystes de l’industrie notent que le litige a déjà eu un impact sur ses intérêts commerciaux, plusieurs partenariats et entreprises ayant été résiliés depuis que les allégations ont fait surface en 2017, lorsque Rozon a démissionné de son poste au festival d’humour qu’il a fondé.
« Les conséquences économiques de ces types d’allégations peuvent être immédiates et sévères, indépendamment des résultats juridiques », a déclaré le spécialiste en gouvernance d’entreprise Philippe Marchand. « Les entreprises reconnaissent de plus en plus que l’association avec des personnalités faisant face à de graves allégations représente un risque commercial inacceptable. »
Le procès devrait se poursuivre pendant une autre semaine, avec des professionnels de la santé mentale prévus pour témoigner sur les réponses traumatiques et la fiabilité de la mémoire dans les cas d’agression sexuelle. Les observateurs juridiques suggèrent que l’affaire pourrait établir d’importants précédents sur la façon dont des actions civiles similaires sont traitées dans les tribunaux québécois.
Alors que nous assistons au déroulement de cette affaire marquante dans notre système judiciaire, une question demeure au premier plan : les tribunaux civils fourniront-ils finalement la responsabilisation et la clôture que recherchent de nombreuses survivantes d’agression sexuelle lorsque le système de justice pénale n’y est pas parvenu?