Dans une surprenante escalade des tensions provinciales-fédérales, la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, a relancé le débat controversé sur le séparatisme albertain, suggérant qu’une victoire libérale aux prochaines élections fédérales pourrait pousser la province à envisager l’indépendance. Lors d’un récent événement de collecte de fonds à Calgary, les propos de Smith ont provoqué des remous dans les cercles politiques canadiens, suscitant des discussions passionnées sur l’aliénation de l’Ouest et l’autonomie provinciale.
“Si un autre gouvernement libéral est élu, je pense que nous allons assister à un regain d’appels pour l’indépendance de l’Alberta,” a déclaré Smith à ses partisans, d’une voix ferme mais résolue. “C’est quelque chose que j’entends de plus en plus de la part des électeurs qui estiment qu’Ottawa a abandonné les intérêts économiques de l’Alberta.”
Les commentaires de la première ministre surviennent dans un contexte de frustration croissante en Alberta face aux politiques fédérales affectant le secteur énergétique de la province, notamment les réglementations environnementales que de nombreux Albertains considèrent comme ciblant de façon disproportionnée leur pilier économique. Ce sentiment couve depuis des années, la Loi sur la souveraineté de l’Alberta étant la tentative législative de Smith pour protéger la province des lois fédérales jugées préjudiciables aux intérêts de l’Alberta.
Les analystes politiques suggèrent que la rhétorique de Smith pourrait être calculée pour renforcer sa position au sein du Parti conservateur uni, où elle fait face à des défis provenant à la fois des factions modérées et plus à droite. Dr Melissa Thornton, professeure de sciences politiques à l’Université de Calgary, note que “Smith marche sur une corde raide délicate entre séduire les partisans favorables à la souveraineté tout en n’aliénant pas les conservateurs traditionnels qui pourraient reculer devant les discours séparatistes.”
Le contexte historique ne peut être ignoré. La relation de l’Alberta avec Ottawa a été chargée de tensions depuis la mise en œuvre du Programme énergétique national de Pierre Trudeau dans les années 1980. Ce programme, que de nombreux Albertains considéraient comme un empiétement fédéral sur les ressources provinciales, a déclenché le premier mouvement séparatiste significatif dans la province et continue d’influencer le discours politique des décennies plus tard.
Les ministres fédéraux libéraux ont rejeté les commentaires de Smith, les qualifiant de “dangereux positionnement politique”. La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a répondu en soulignant les avantages économiques que l’Alberta reçoit en faisant partie du Canada, citant l’accès préférentiel aux marchés grâce aux accords commerciaux fédéraux et au financement des infrastructures.
“Ce genre de rhétorique nuit non seulement à l’unité nationale mais aussi aux perspectives économiques de l’Alberta,” a déclaré Freeland lors d’une conférence de presse à Ottawa. “Les investisseurs internationaux veulent de la stabilité, pas des menaces séparatistes.”
Les experts économiques soulignent que l’intégration de l’Alberta dans l’économie nationale est profonde. Les exportations énergétiques de la province dépendent fortement des infrastructures nationales, et toute séparation soulèverait des questions complexes concernant la monnaie, les relations commerciales et les obligations de dette. Une étude de 2021 de la Fondation Canada West a estimé que le PIB de l’Alberta pourrait se contracter jusqu’à 25% dans les suites immédiates d’une séparation.
Cependant, les partisans de Smith font valoir que la contribution de 73 milliards de dollars de la province aux coffres fédéraux entre 2007 et 2018 — argent qui, selon eux, n’a pas été réciproque dans les dépenses fédérales — justifie leurs griefs. Todd McKay, porte-parole de la section albertaine de la Fédération canadienne des contribuables, affirme que “les Albertains ont l’impression d’envoyer une fortune à Ottawa et de recevoir du mépris en retour.”
Les implications de la rhétorique de Smith s’étendent au-delà des frontières de l’Alberta. En Saskatchewan, le premier ministre Scott Moe a exprimé sa solidarité avec les préoccupations de l’Alberta tout en évitant d’approuver le séparatisme. Pendant ce temps, les leaders d’affaires de l’Ouest canadien craignent que les discours sur la séparation puissent décourager les investissements à un moment où la diversification économique est cruciale.
Alors que ce débat se déroule, la question demeure: Smith est-elle vraiment préoccupée par l’indépendance de l’Alberta, ou s’agit-il d’une stratégie politique calculée pour consolider sa base avant les élections provinciales et fédérales? Et peut-être plus important encore, comment cette rhétorique pourrait-elle modifier de façon permanente le tissu du fédéralisme canadien d’une manière qui affectera les générations à venir?