Dans un contexte diplomatique aux enjeux considérables, les représentants canadiens et américains ont repris cette semaine d’importantes négociations commerciales, après des mois de tensions croissantes concernant la taxe sur les services numériques proposée par le Canada. Ces pourparlers renouvelés signalent un possible dégel des relations entre les deux plus grands partenaires commerciaux, alors que les deux parties cherchent à éviter un conflit commercial dommageable qui pourrait se répercuter sur l’ensemble des chaînes d’approvisionnement nord-américaines.
“Nous sommes déterminés à trouver une solution mutuellement avantageuse,” a déclaré hier à Ottawa la ministre canadienne des Finances, Chrystia Freeland. “Bien que nous maintenions notre droit souverain de mettre en œuvre des politiques fiscales qui garantissent que les géants du numérique paient leur juste part au Canada, nous reconnaissons l’importance de notre relation commerciale avec les États-Unis.”
Le différend porte sur la taxe sur les services numériques (TSN) du Canada, qui vise à prélever 3 % sur les revenus générés par les géants de la technologie auprès des utilisateurs canadiens lorsqu’ils vendent de la publicité en ligne ou gagnent de l’argent grâce aux données des utilisateurs. Cette taxe affecterait principalement de grandes entreprises américaines comme Google, Amazon et Facebook, qui, selon le gouvernement canadien, ont largement bénéficié des consommateurs canadiens tout en contribuant minimalement à l’assiette fiscale.
Les représentants américains ont vivement réagi, qualifiant cette taxe de discriminatoire envers les entreprises américaines. La représentante au Commerce des États-Unis, Katherine Tai, a précédemment averti que cette mesure pourrait déclencher des droits de douane de représailles en vertu de l’article 301 de la loi américaine sur le commerce, affectant potentiellement des milliards de dollars d’exportations canadiennes.
“Ces discussions témoignent de notre engagement continu à résoudre les différends commerciaux par le dialogue plutôt que par des mesures punitives,” a déclaré un haut responsable du Bureau du représentant au commerce des États-Unis qui a demandé l’anonymat car il n’était pas autorisé à s’exprimer publiquement. “Mais ne vous y trompez pas, nous avons de sérieuses préoccupations quant au précédent que cette taxe pourrait créer.”
Le calendrier de ces négociations renouvelées coïncide avec des efforts internationaux plus larges menés par l’OCDE pour établir un cadre mondial d’impôt minimum sur les sociétés. Les deux pays avaient précédemment convenu de suspendre les mesures fiscales numériques unilatérales pendant que les pourparlers multilatéraux progressaient, mais la décision du Canada d’aller de l’avant indépendamment a suscité la colère de Washington.
Selon les analystes économiques, les enjeux ne pourraient être plus élevés. “Avec environ 2,6 milliards de dollars canadiens de revenus annuels ciblés par cette taxe, et des droits de douane de représailles potentiels qui pourraient affecter jusqu’à 10 milliards de dollars d’exportations canadiennes, aucune des deux parties ne peut se permettre un différend prolongé,” a expliqué Dre Marina Chen, économiste à l’École de gestion Rotman de l’Université de Toronto.
Les groupes de l’industrie technologique canadienne ont exprimé des réactions mitigées. Si certains soutiennent les efforts visant à équilibrer les règles du jeu face aux géants de la technologie, d’autres s’inquiètent des répercussions possibles pour les entreprises numériques canadiennes ayant des activités aux États-Unis.
“Le gouvernement doit s’assurer que toute taxe ne nuit pas par inadvertance à l’innovation canadienne tout en répondant aux préoccupations légitimes concernant l’équité fiscale,” a déclaré Michael Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’Internet et du commerce électronique à l’Université d’Ottawa.
Des sources proches des négociations indiquent qu’un compromis pourrait impliquer que le Canada modifie les calendriers de mise en œuvre ou les mécanismes d’ajustement qui s’aligneraient sur les normes mondiales éventuelles, tandis que les États-Unis pourraient offrir des garanties contre des mesures de représailles immédiates.
Les pourparlers surviennent à un moment particulièrement délicat, les deux pays faisant face à des pressions économiques liées à l’inflation et aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement, tandis que la relation plus large entre le Canada et les États-Unis navigue à travers des défis sur plusieurs fronts, notamment la politique énergétique, les dépenses de défense et les approches vis-à-vis de la Chine.
Alors que les citoyens des deux côtés de la plus longue frontière non défendue du monde observent le déroulement de ces négociations, une question fondamentale demeure : dans une économie mondiale de plus en plus numérique, des alliés traditionnels peuvent-ils trouver un équilibre entre la souveraineté fiscale nationale et la nature interconnectée de leurs économies sans compromettre des décennies d’intégration économique?