Le paysage politique de l’Alberta a radicalement changé cette semaine avec l’introduction par le gouvernement de la première ministre Danielle Smith d’une nouvelle législation qui faciliterait la tenue de référendums sur les questions de souveraineté et d’indépendance. La Loi modificative sur les référendums, dévoilée mercredi, a déclenché un vif débat dans toute la province et relancé les discussions sur l’aliénation de l’Ouest qui couvent sous la surface politique du Canada depuis des décennies.
“Les Albertains méritent de faire entendre leur voix sur les questions qui touchent directement leur avenir,” a déclaré la première ministre Smith lors de l’annonce à l’assemblée législative d’Edmonton. “Cette législation garantit que les processus démocratiques sont accessibles lorsque des questions cruciales concernant notre relation avec Ottawa se posent.”
La nouvelle loi abaisserait le seuil pour les référendums d’initiative citoyenne de l’exigence actuelle de 40 % des électeurs admissibles à un niveau plus atteignable de 20 %. Cette réduction significative signifie qu’environ 700 000 signatures seraient nécessaires pour déclencher un vote à l’échelle provinciale sur la place de l’Alberta dans la confédération – un nombre qui reste substantiel mais est considéré par de nombreux analystes politiques comme réalisable dans les bonnes conditions.
Les critiques, dont la chef de l’opposition Rachel Notley, ont condamné cette initiative comme un “dangereux théâtre politique” qui détourne l’attention des problèmes économiques pressants. “À un moment où les Albertains s’inquiètent des soins de santé, de l’éducation et du coût de la vie, la première ministre rouvre de vieilles blessures et attise la division,” a remarqué Notley pendant la période des questions.
Cette législation émerge dans un contexte de tension historique entre l’Alberta et le gouvernement fédéral. Depuis l’introduction du Programme énergétique national de Pierre Trudeau dans les années 1980, des poussées périodiques du sentiment d’aliénation de l’Ouest se sont manifestées dans divers mouvements séparatistes, du Parti réformiste au plus récent mouvement Wexit qui a pris de l’ampleur après l’élection fédérale de 2019.
Le politologue Roger Gibbins de l’Université de Calgary note que, bien qu’une indépendance complète reste peu probable, la loi référendaire pourrait modifier considérablement la dynamique fédérale-provinciale. “Il ne s’agit pas nécessairement de la séparation effective de l’Alberta,” a-t-il expliqué dans une entrevue. “Il s’agit de levier. La simple menace d’un référendum renforce la position de l’Alberta dans les négociations avec Ottawa sur tout, de la péréquation à la politique énergétique.”
Les implications économiques de la législation restent vivement débattues. Le Conseil des affaires de l’Alberta a exprimé son inquiétude quant à l’incertitude potentielle du marché, le PDG Adam Legge avertissant que “l’instabilité constitutionnelle, même théorique, peut affecter les décisions d’investissement et la croissance économique.” Cependant, des groupes pro-souveraineté comme l’Association pour la souveraineté de l’Alberta ont salué cette initiative comme “une reconnaissance longtemps attendue des contributions économiques uniques de l’Alberta à la confédération.”
Les sondages récents suggèrent que les Albertains restent divisés sur les questions de souveraineté. Une enquête menée par Janet Brown Opinion Research en mars a révélé qu’environ 28 % des Albertains soutiendraient l’indépendance sous certaines conditions, tandis que 58 % s’opposent à la séparation quelles que soient les circonstances. Ces chiffres reflètent la relation complexe que de nombreux Albertains entretiennent avec l’identité nationale et la politique fédérale.
Les leaders autochtones sont également entrés dans la conversation, le Grand Chef du Traité 6, Cody Thomas, soulignant que “toute conversation sur le statut constitutionnel de l’Alberta doit inclure une consultation significative avec les Premières Nations, dont les relations de traité sont avec la Couronne, pas les gouvernements provinciaux.”
La réponse du gouvernement fédéral a été mesurée, le ministre des Affaires intergouvernementales Dominic LeBlanc affirmant qu’Ottawa reste “engagé envers le fédéralisme coopératif” tout en exprimant son inquiétude concernant “la rhétorique divisive qui mine l’unité nationale.”
Alors que le débat se poursuit dans les semaines à venir, la question fondamentale demeure : cette législation représente-t-elle un véritable virage vers une séparation potentielle, ou est-ce principalement une manœuvre tactique pour renforcer la position de l’Alberta au sein de la confédération? Dans une province où la richesse pétrolière, l’identité de l’Ouest et les tensions fédérales ont longtemps façonné le discours politique, la réponse pourrait se situer quelque part entre ces possibilités.
Reste à voir si ce dernier chapitre de la relation compliquée de l’Alberta avec Ottawa finira par apporter un changement significatif à la dynamique fédérale-provinciale, ou simplement ajouter une autre couche au récit continu de l’aliénation de l’Ouest qui a défini des générations de politique canadienne.