Dans une décision sans précédent qui ébranle l’économie numérique canadienne, l’Agence du revenu du Canada a fermement refusé les demandes de remboursement pour la taxe sur les services numériques (TSN) désormais disparue, malgré l’abrogation formelle par le Parlement de cette mesure controversée plus tôt cette année.
“Nous sommes pris dans les limbes bureaucratiques,” explique Michael Riordan, PDG de CanTech Solutions, une entreprise technologique de taille moyenne basée à Vancouver. “Le gouvernement a reconnu que la taxe était fondamentalement défectueuse, l’a abrogée, mais l’ARC maintient que nous n’avons pas droit aux remboursements des montants perçus en vertu d’une législation qui n’existe plus.”
La taxe sur les services numériques, initialement mise en œuvre dans le cadre de la stratégie canadienne visant à capturer des revenus des géants numériques étrangers opérant au Canada, a été abrogée suite à d’intenses pressions des parties prenantes de l’industrie et des partenaires commerciaux internationaux. La taxe avait imposé un prélèvement de 3% sur les revenus générés par les plateformes numériques ayant des utilisateurs canadiens, affectant les entreprises technologiques nationales et internationales.
Des documents internes de l’ARC obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information révèlent que la position de l’agence est que “l’abrogation législative ne déclenche pas automatiquement l’admissibilité au remboursement” pour les taxes déjà perçues. Cette position a laissé de nombreuses entreprises qui se sont diligemment conformées à cette taxe éphémère se sentir trahies par le système même auquel elles faisaient confiance.
Les analystes financiers de Bay Street à Toronto estiment qu’environ 420 millions de dollars en paiements de TSN restent dans les coffres du gouvernement sans aucune voie de remboursement selon la politique actuelle. La majorité des entreprises touchées comprennent des plateformes publicitaires, des services d’abonnement et des marchés numériques qui avaient restructuré leurs opérations canadiennes pour s’adapter à la taxe.
“Cela crée un dangereux précédent,” avertit Patricia Yuen, spécialiste en politique fiscale à la Chambre de commerce du Canada. “Si les entreprises ne peuvent pas être assurées que le respect de la loi actuelle les protège lorsque cette loi est ultérieurement jugée inappropriée et abrogée, nous minons le fondement même de notre système fiscal.”
La situation a déclenché un débat intense dans les cercles politiques canadiens, les critiques de l’opposition en matière de finances appelant à une intervention immédiate. Le député conservateur James Richardson a exigé des éclaircissements du ministre des Finances, déclarant pendant la période des questions que “les entreprises canadiennes méritent de la certitude, pas une punition rétroactive pour avoir suivi des lois que le gouvernement lui-même a rejetées.”
Des experts juridiques suggèrent que les entreprises touchées pourraient avoir des motifs pour un recours collectif. “Le principe fondamental en jeu est de savoir si le gouvernement peut conserver des fonds perçus en vertu d’une législation qu’il a par la suite jugée suffisamment défectueuse pour justifier son abrogation,” explique Danielle Montour, professeure de droit constitutionnel à l’Université McGill.
Pour les petites entreprises technologiques canadiennes comme DataStream Analytics basée à Toronto, les implications financières sont substantielles. “Nous avons payé près de 180 000 $ en TSN pendant sa brève existence,” révèle le fondateur de l’entreprise Aiden Chow. “C’est du capital qui pourrait être réinvesti dans l’embauche de talents canadiens ou le développement de nouveaux produits, mais qui reste bloqué dans les comptes du gouvernement malgré l’abrogation de la taxe.”
Le ministère des Finances a publié une déclaration indiquant qu’il “examine la situation” mais s’est gardé de s’engager à tout mécanisme de remboursement. Des sources au sein du ministère, s’exprimant sous couvert d’anonymat, suggèrent que cette réticence découle de préoccupations concernant la complexité administrative du traitement des remboursements et les implications budgétaires potentielles durant une période de contrainte fiscale.
Les observateurs internationaux suivent attentivement la situation. L’Union européenne, qui développe son propre cadre de taxation numérique, a exprimé son inquiétude quant à l’approche du Canada. La commissaire à l’économie numérique de l’UE, Helena Bergstrom, a noté que “la certitude et l’équité fiscales sont des piliers essentiels d’une économie numérique fonctionnelle” et que “la rétention rétroactive des recettes fiscales abrogées compromet ces principes.”
Alors que cette histoire se développe à travers les centres d’affaires canadiens, la question fondamentale reste non résolue : lorsqu’un gouvernement reconnaît qu’une taxe était suffisamment mal conçue pour justifier son abrogation, a-t-il l’obligation morale et légale de rembourser les montants perçus en vertu de cette législation abandonnée?