Dans un tournant inattendu qui a suscité des débats dans l’industrie maritime de la Colombie-Britannique, Seaspan a publiquement expliqué sa décision de ne pas soumissionner pour le contrat controversé de construction navale de BC Ferries, finalement attribué à un chantier naval chinois. Cette explication survient alors que les préoccupations grandissent concernant la capacité de construction navale nationale et les implications économiques d’envoyer de tels contrats importants à l’étranger.
Jonathan Whitworth, PDG de Seaspan Marine Transportation, a révélé que son entreprise a pris la décision stratégique de se concentrer sur les contrats du gouvernement fédéral plutôt que de poursuivre le projet de BC Ferries. “Nos chantiers navals de Vancouver fonctionnent actuellement à capacité maximale avec le programme non-combattant dans le cadre de la Stratégie nationale de construction navale,” a déclaré Whitworth lors d’une conférence de presse à l’installation de l’entreprise à Vancouver Nord.
Le contrat en question, évalué à environ 95 millions de dollars, concerne la construction de quatre nouveaux navires hybrides-électriques destinés à moderniser la flotte vieillissante de BC Ferries. La décision de BC Ferries d’attribuer le contrat à China Merchants Industry Holdings a suscité des critiques de la part des syndicats et des intervenants de l’industrie, préoccupés par les opportunités perdues pour l’emploi local et le développement économique.
Mark Collins, président-directeur général de BC Ferries, a défendu cette décision, citant des différences de coûts significatives. “Les soumissions nationales que nous avons reçues étaient considérablement plus élevées—dans certains cas, plus du double des offres internationales,” a expliqué Collins. “En tant que gestionnaires de fonds publics, nous devions considérer les implications financières pour les contribuables et les usagers des traversiers.”
La situation met en lumière une tension plus large dans l’industrie canadienne de la construction navale, où les chantiers nationaux peinent à concurrencer les constructeurs internationaux sur les prix tout en maintenant une main-d’œuvre spécialisée requise pour des projets complexes. Les analystes de l’industrie notent que les chantiers navals canadiens font face à des coûts de main-d’œuvre plus élevés et des exigences réglementaires qui peuvent rendre difficile la soumission compétitive, particulièrement pour des projets sans exigences explicites de contenu national.
Le ministre des Transports de la Colombie-Britannique, Rob Fleming, a exprimé sa déception mais a reconnu la réalité de la situation. “Bien que nous préférerions voir ces navires construits localement, BC Ferries fonctionne comme une entité indépendante avec ses propres processus d’approvisionnement,” a noté Fleming. “Le gouvernement provincial reste engagé à soutenir notre industrie maritime nationale par d’autres initiatives.”
Les représentants syndicaux ont exprimé une forte opposition au contrat à l’étranger. “Cela représente une opportunité manquée de créer des centaines d’emplois qualifiés ici même en Colombie-Britannique,” a déclaré Robert Ashton, président du Syndicat international des débardeurs et magasiniers du Canada. “Nous exportons effectivement non seulement le travail de construction, mais aussi tous les avantages économiques associés.”
La controverse se déroule dans le contexte de la Stratégie nationale de construction navale du Canada, une initiative gouvernementale à long terme conçue pour développer les capacités nationales de construction navale. Les chantiers navals de Vancouver de Seaspan travaillent actuellement sur plusieurs projets fédéraux majeurs dans le cadre de ce programme, y compris la construction de navires de ravitaillement navals et de navires de recherche.
Les experts de l’industrie maritime soulignent que cette situation reflète un défi mondial. “De nombreux pays luttent avec l’équilibre entre le soutien aux industries nationales et la gestion des coûts,” explique Dr. Mary Thompson, professeure d’économie maritime à l’Université de la Colombie-Britannique. “Sans cadres politiques spécifiques qui reconnaissent l’importance stratégique de la capacité nationale de construction navale, le prix sera souvent le facteur déterminant.”
Pour les passagers de BC Ferries et l’économie de la Colombie-Britannique, les implications vont au-delà de la phase de construction. Des questions demeurent concernant l’entretien, les travaux sous garantie et le soutien opérationnel à long terme pour les navires construits à l’étranger. L’opérateur de traversiers insiste sur le fait que des accords de service complets et des mesures de contrôle de qualité garantiront que les navires respectent toutes les normes canadiennes de sécurité et d’exploitation.
Alors que le débat se poursuit, la situation soulève d’importantes questions sur la politique industrielle du Canada et les priorités stratégiques. Dans une économie de plus en plus mondialisée, comment devrions-nous équilibrer les considérations de coûts immédiats avec les objectifs de développement économique à plus long terme? Et peut-être plus fondamentalement, quelle valeur accordons-nous au maintien des capacités nationales dans des secteurs jugés stratégiquement importants pour notre infrastructure nationale?