Dans une démarche qui annonce une possible confrontation constitutionnelle, la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, a confirmé hier son intention de déposer cet automne une législation garantissant l’eau potable aux communautés des Premières Nations, malgré la résistance croissante des gouvernements provinciaux. Cette annonce survient après des décennies d’avis concernant la qualité de l’eau qui ont affecté les communautés autochtones à travers le Canada, certains durant depuis plusieurs générations.
“L’accès à l’eau potable est un droit humain fondamental qui a été refusé à trop de communautés des Premières Nations pendant beaucoup trop longtemps,” a déclaré Hajdu lors d’une conférence de presse à Ottawa. “Cette législation créera des cadres juridiques contraignants pour garantir que ces communautés ne soient plus jamais confrontées à la négligence systémique dont nous avons été témoins au cours du siècle dernier.”
La Loi sur l’eau potable des Premières Nations proposée établirait des normes fédérales de qualité de l’eau spécifiquement pour les communautés autochtones, créerait des mécanismes de responsabilisation pour les investissements dans les infrastructures et imposerait des engagements de financement à long terme. Selon des documents fédéraux obtenus par CO24 News, la législation officialiserait également la responsabilité d’Ottawa dans la résolution des crises de l’eau dans les réserves — un problème qui est souvent tombé dans les lacunes juridictionnelles entre les autorités fédérales et provinciales.
Plusieurs provinces, dont l’Alberta, la Saskatchewan et l’Ontario, ont signalé leur opposition au projet de loi, arguant qu’il empiète sur la compétence provinciale en matière de ressources naturelles. La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, s’est montrée particulièrement vocale, déclarant la semaine dernière qu'”Ottawa poursuit son modèle d’empiétement constitutionnel dans des domaines clairement désignés comme provinciaux.”
Les leaders autochtones, cependant, ont largement accueilli l’initiative fédérale. La cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations, RoseAnne Archibald, a qualifié la législation de “longtemps attendue” lors des consultations plus tôt cette année.
“Alors que 73 avis à long terme concernant l’eau potable restent en vigueur dans les communautés des Premières Nations, nous ne pouvons pas nous permettre de nouveaux retards en raison de querelles juridictionnelles,” a déclaré Archibald. “Certains de nos membres ont vécu toute leur vie sans pouvoir boire l’eau de leurs robinets.”
Le projet de loi fait suite à l’échec du gouvernement fédéral à respecter sa propre échéance de 2021 pour mettre fin à tous les avis à long terme concernant l’eau potable dans les réserves des Premières Nations. Bien que 137 avis aient été levés depuis 2015, de nouveaux continuent d’apparaître à mesure que les infrastructures vieillissantes se détériorent, selon les données de Services aux Autochtones Canada.
Les experts constitutionnels restent divisés sur la question de savoir si la législation résistera aux contestations juridiques. La professeure Karen Drake de l’École de droit Osgoode Hall note que “bien que les provinces aient juridiction sur les ressources en eau en général, le gouvernement fédéral a une responsabilité constitutionnelle claire pour ‘les Indiens et les terres réservées aux Indiens’ en vertu de l’article 91 de la Loi constitutionnelle.”
La législation proposée devrait inclure des dispositions pour des accords tripartites entre les gouvernements fédéral, provinciaux et des Premières Nations, bien que les critiques s’interrogent sur la participation des provinces opposées au projet de loi à de tels cadres.
Les analystes financiers estiment que la mise en œuvre du projet de loi pourrait coûter plus de 8 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie, soulevant des questions sur les engagements de financement à long terme dans une ère de déficits fédéraux croissants. Le directeur parlementaire du budget devrait publier une analyse détaillée des coûts le mois prochain, selon des sources de CO24 Business.
Alors que le Parlement se réunit à nouveau en septembre, le gouvernement Trudeau fait face au défi complexe de tenir sa promesse envers les communautés autochtones tout en naviguant à travers les obstacles constitutionnels et l’opposition provinciale. Avec les élections fédérales à l’horizon, la question demeure: cette législation décisive résoudra-t-elle enfin l’échec de longue date du Canada à fournir de l’eau potable aux Premières Nations, ou deviendra-t-elle un autre champ de bataille dans la tension permanente entre l’ambition fédérale et l’autonomie provinciale?