Face à la menace économique imminente posée par le régime tarifaire proposé par le président élu Donald Trump, les responsables canadiens ont entamé des discussions de haut niveau avec le géant minier Rio Tinto pour évaluer les défis potentiels de liquidité auxquels le secteur des métaux pourrait faire face. La ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly a confirmé mercredi que ces conversations stratégiques ne représentent qu’un aspect de la préparation globale d’Ottawa à ce qui pourrait devenir une perturbation économique importante pour l’épine dorsale industrielle du Canada.
“Nous maintenons une communication directe avec les principaux intervenants de nos secteurs de ressources,” a expliqué la ministre Joly lors d’un point de presse à Ottawa. “Les opérations de Rio Tinto représentent des milliers d’emplois canadiens et des milliards en activité économique—comprendre leur position de liquidité dans les scénarios tarifaires potentiels est crucial pour notre planification économique.”
Les discussions reflètent les préoccupations croissantes concernant la promesse de campagne de Trump de mettre en œuvre des tarifs généralisés allant jusqu’à 20% sur toutes les importations en provenance du Canada, avec des taux potentiellement plus élevés ciblant des secteurs industriels spécifiques. Les analystes économiques de l’Institut C.D. Howe estiment que de telles mesures pourraient réduire les exportations canadiennes jusqu’à 45 milliards de dollars par an et éliminer plus de 150 000 emplois dans les secteurs de la fabrication, de l’extraction des ressources et des services connexes.
Rio Tinto, qui exploite d’importantes installations de fonderie d’aluminium au Québec et en Colombie-Britannique, employant plus de 10 000 Canadiens, est particulièrement vulnérable. Les opérations canadiennes de l’entreprise produisent environ 1,4 million de tonnes d’aluminium par an, dont environ 84% sont destinées aux marchés américains.
“L’imposition de tarifs punitifs modifierait fondamentalement l’économie de nos opérations nord-américaines,” a noté Jean-Sébastien Jacques, directeur général de Rio Tinto, dans une déclaration publiée après les discussions. “Nous travaillons étroitement avec les responsables canadiens pour modéliser divers scénarios et assurer la continuité opérationnelle, quelles que soient les conditions commerciales.”
La vice-première ministre Chrystia Freeland a indiqué que le gouvernement explore plusieurs options de contingence, y compris des mécanismes de soutien à la liquidité pour les industries stratégiques confrontées à de graves perturbations de trésorerie dues à l’application soudaine de tarifs. Ces mesures pourraient inclure des garanties de crédit à l’exportation, des allégements fiscaux temporaires et des approbations réglementaires accélérées pour les initiatives de diversification des marchés.
“Le Canada a tiré des leçons précieuses lors du précédent cycle de tarifs,” a noté Freeland, faisant référence aux droits sur l’acier et l’aluminium imposés durant la première administration Trump. “Nous nous appuyons sur cette expérience avec une approche plus robuste et prospective qui anticipe divers scénarios.”
Les experts en commerce avertissent que les options du Canada pour des représailles directes pourraient être limitées sans causer davantage de tort économique à soi-même. Lors des différends tarifaires précédents, les contre-mesures du Canada étaient soigneusement calibrées pour minimiser l’impact économique intérieur tout en ciblant des régions américaines politiquement sensibles.
“L’ampleur des tarifs dont on discute nécessiterait une stratégie de réponse fondamentalement différente,” explique Debra Steger, ancienne négociatrice principale chez Affaires mondiales Canada et professeure à l’Université d’Ottawa. “Le Canada devra poursuivre des voies simultanées: contester les mesures par le biais d’accords commerciaux, travailler les canaux diplomatiques et soutenir les industries nationales pendant la transition.”
Pour les communautés dépendantes de la production et de la transformation des métaux, les enjeux ne pourraient être plus élevés. Dans des régions comme le Saguenay–Lac-Saint-Jean, où les opérations de Rio Tinto représentent le fondement économique de dizaines de communautés, l’incertitude est palpable.
“Nous avons traversé des tempêtes commerciales auparavant, mais rien de cette ampleur,” note Jean Simard, président de l’Association de l’aluminium du Canada. “La nature intégrée des chaînes d’approvisionnement nord-américaines signifie que ces tarifs finiraient par nuire également aux fabricants américains, mais cette réalité économique ne garantit pas la retenue politique.”
Alors qu’Ottawa continue de se préparer à ce qui pourrait devenir la perturbation commerciale la plus importante d’une génération, la question qui se pose aux décideurs va au-delà de la défense économique immédiate: Comment le Canada peut-il fondamentalement réorienter ses relations commerciales pour réduire sa vulnérabilité aux changements politiques chez son plus grand partenaire commercial?