La perspective imminente du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche a poussé les responsables canadiens à élaborer d’urgence une stratégie commerciale robuste, avec l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, qui avertit que le Canada doit rester “agile” dans son approche des négociations potentielles avec les États-Unis.
“Trump fonctionne avec plusieurs objectifs simultanément,” a déclaré Carney lors d’un récent forum économique à Toronto. “Ce qui semble être son objectif principal une semaine peut changer radicalement la suivante, ce qui exige de nos négociateurs qu’ils maintiennent une flexibilité tout en protégeant les intérêts économiques fondamentaux du Canada.”
L’enjeu ne pourrait être plus important pour le Canada, avec environ 75% de ses exportations destinées aux États-Unis, représentant près de 400 milliards de dollars d’échanges annuels. La précédente administration Trump a été marquée par des renégociations conflictuelles de l’ALENA, aboutissant à l’actuel accord ACEUM qui doit faire l’objet d’un premier examen formel en 2026.
Les experts en politique économique notent que la rhétorique de campagne de Trump s’est fortement concentrée sur l’imposition de tarifs douaniers généralisés, potentiellement jusqu’à 10% sur toutes les importations et jusqu’à 60% sur les produits chinois. De telles mesures pourraient gravement affecter les secteurs manufacturiers et des ressources canadiens qui sont profondément intégrés aux chaînes d’approvisionnement américaines.
“L’incertitude ne concerne pas seulement les tarifs directs sur les produits canadiens,” explique Mélanie Thompson, économiste en chef chez RBC Marchés des Capitaux. “Il s’agit de savoir comment les entreprises canadiennes qui font partie de chaînes d’approvisionnement nord-américaines complexes seraient affectées si Trump perturbe le commerce avec d’autres nations, particulièrement la Chine et le Mexique.”
Carney, qui occupe maintenant le poste de vice-président chez Brookfield Asset Management, a souligné que l’approche du Canada doit équilibrer la défense de ses intérêts tout en reconnaissant la réalité de la dynamique politique américaine. “Nous devons comprendre où nous avons un levier et où nous n’en avons pas,” a-t-il averti. “Certaines batailles valent la peine d’être menées, tandis que d’autres peuvent nécessiter des concessions stratégiques.”
Le gouvernement Trudeau aurait mis en place un groupe de travail spécialisé interministériel pour analyser divers scénarios de l’administration Trump. Des sources indiquent que la vice-première ministre Chrystia Freeland, qui a dirigé les renégociations de l’ALENA pendant le premier mandat de Trump, coordonne les efforts de préparation.
La situation est davantage compliquée par les propres défis économiques intérieurs du Canada, notamment les préoccupations liées à l’inflation, les problèmes d’accessibilité au logement et un écart de productivité avec les États-Unis qui s’est creusé au cours de la dernière décennie.
“Nous entrons dans des négociations potentielles à partir d’une position de faiblesse économique relative par rapport à 2018,” note Dr. James Wilson, professeur de commerce international à l’Université Queen’s. “Notre capacité à résister aux tactiques de pression économique est quelque peu diminuée.”
Les chefs d’entreprise à travers le Canada ajustent déjà leurs stratégies d’investissement. Une récente enquête de la Chambre de commerce du Canada a révélé que 63% des entreprises réévaluent leur exposition au marché américain, avec 41% explorant des opportunités de diversification sur les marchés européens et asiatiques.
“L’approche prudente est d’espérer une stabilité commerciale mais de se préparer à des perturbations importantes,” a conseillé Sarah Martinez, PDG de l’association des Fabricants et Exportateurs du Canada. “Les entreprises qui élaborent des plans d’urgence maintenant seront mieux positionnées quel que soit le résultat.”
Alors que les Canadiens observent l’élection américaine avec une appréhension croissante, la question fondamentale demeure : notre relation commerciale peut-elle résister à une autre période de politiques “America First”, ou devons-nous fondamentalement réimaginer notre avenir économique avec moins de dépendance envers notre voisin du sud?