L’air glacial du matin à la centrale électrique de Boundary Dam en Saskatchewan transporte plus que de la poussière de charbon ces jours-ci. Il véhicule quelque chose d’invisible mais révolutionnaire : du dioxyde de carbone capturé qui, autrefois, se serait échappé dans l’atmosphère. Cette installation, exploitée par SaskPower, représente l’avant-garde d’une industrie canadienne en plein essor qui transforme la responsabilité environnementale en opportunité économique.
“Nous ne nous contentons plus de prévenir les émissions – nous les monétisons,” explique Dre Emily Chen, chercheuse en technologies climatiques à l’Université de la Colombie-Britannique. “Les entreprises canadiennes ont reconnu que le carbone n’est pas seulement une responsabilité; avec la bonne technologie, il devient une ressource précieuse.”
Les technologies de captage, d’utilisation et de stockage du carbone (CUSC) ont évolué de concepts expérimentaux à des réalités commerciales à travers le Canada, avec des investissements dépassant 3,8 milliards de dollars en 2023. L’introduction par le gouvernement fédéral d’incitatifs fiscaux sur le carbone et d’un fonds d’investissement de 5 milliards de dollars pour les technologies propres a accéléré cette transition, créant ce que les initiés de l’industrie appellent une “ruée vers l’or du carbone.”
Carbon Engineering, basée à Calgary, est à l’avant-garde de ce mouvement avec sa technologie de captage direct de l’air qui extrait le CO₂ directement de l’atmosphère. L’entreprise a récemment conclu un partenariat historique de 1,1 milliard de dollars avec Occidental Petroleum pour construire la plus grande installation de captage direct de l’air au monde, avec l’expertise canadienne en ingénierie à son cœur.
“Nous sommes passés de la question de savoir si le captage du carbone fonctionne à celle de savoir à quelle vitesse nous pouvons le développer,” déclare Michael Robertson, directeur des opérations de Carbon Engineering. “Notre installation pilote à Squamish capture mille tonnes de CO₂ par an, mais nos usines commerciales en captureront un million chacune – l’équivalent du travail de 40 millions d’arbres.”
Ce qui distingue l’approche canadienne, c’est son accent sur l’utilisation, pas seulement le stockage. À Edmonton, Carbonova Corp a développé des procédés qui transforment le carbone capturé en nanofibres de carbone – des matériaux valant jusqu’à 100 000 dollars la tonne qui renforcent tout, du béton aux batteries.
“Nous créons des économies circulaires du carbone,” note Mina Zarabian, PDG de Carbonova. “Les mêmes émissions qui étaient autrefois considérées comme des déchets sont maintenant des matières premières pour des produits à haute valeur ajoutée qui surpassent les matériaux traditionnels.”
L’économie est de plus en plus convaincante. Avec des prix du carbone qui devraient atteindre 170 dollars la tonne d’ici 2030, les émetteurs industriels font face à une pression financière croissante. Des entreprises comme Nova Chemicals s’associent à des spécialistes du captage du carbone, non seulement pour la conformité environnementale, mais aussi pour un avantage concurrentiel.
Le secteur attire d’importants capitaux de risque, la startup torontoise CUSC Carbon Upcycling ayant clôturé une série A de financement de 38 millions de dollars le trimestre dernier. Leur technologie convertit les émissions de carbone industrielles en additifs qui améliorent les performances du béton tout en séquestrant de façon permanente le CO₂.
“Les investisseurs internationaux reconnaissent que le Canada possède des avantages uniques dans ce domaine,” explique Jennifer Martinez, analyste en investissement durable chez RBC Marchés des Capitaux. “Notre géologie est idéale pour le stockage, notre expertise énergétique est de classe mondiale, et notre cadre réglementaire évolue pour soutenir l’innovation.”
Tous les efforts ne se concentrent pas sur l’industrie lourde. Carbicrete de Montréal a complètement éliminé le ciment de la production de béton, utilisant à la place des déchets de laitier d’acier et du CO₂ capturé pour créer des matériaux de construction à bilan carbone négatif – ce qui signifie qu’ils stockent de façon permanente plus de carbone qu’ils n’en émettent pendant la production.
“Nous construisons des infrastructures qui éliminent activement le carbone de l’atmosphère,” déclare Chris Stern, PDG de Carbicrete. “Chaque bloc de construction standard séquestre environ 2 kg de CO₂, transformant notre environnement bâti en un puits de carbone massif.”
La Coalition des projets majeurs des Premières Nations, dirigée par les Autochtones, est également entrée dans ce domaine, développant la première installation de captage du carbone appartenant aux Autochtones du Canada près de Fort McMurray. Le projet vise à démontrer comment les valeurs traditionnelles de gestion des terres s’alignent avec les technologies climatiques de pointe.
Malgré l’élan, des défis demeurent. Les lacunes infrastructurelles, notamment les réseaux de pipelines pour transporter le CO₂ capturé, nécessitent des milliards d’investissements supplémentaires. Les critiques se demandent également si le captage du carbone permet une dépendance continue aux combustibles fossiles plutôt qu’une transition vers les énergies renouvelables.
Cependant, les partisans soutiennent que même dans les scénarios de zéro émission nette, certaines industries comme la fabrication de ciment et d’acier continueront à générer des émissions qui nécessitent des technologies de captage.
Alors que les objectifs climatiques mondiaux se resserrent et que les marchés du carbone mûrissent, les entreprises canadiennes se positionnent comme fournisseurs de solutions dans un monde aux émissions contraintes. Avec une croissance du marché mondial projetée de 7 milliards de dollars aujourd’hui à plus de 50 milliards d’ici 2030, le commerce du captage du carbone prouve que l’innovation environnementale et la croissance économique peuvent circuler ensemble – tout comme le carbone capturé qui circule maintenant dans les pipelines de la nouvelle économie circulaire du Canada.
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