Une enquête qui pourrait devenir le différend commercial le plus important de la décennie dans l’industrie laitière a été lancée par la Commission du commerce international des États-Unis (ITC). Cette investigation porte sur des allégations selon lesquelles les protéines laitières américaines seraient injustement déversées sur les marchés canadiens, menaçant le système de gestion de l’offre soigneusement équilibré qui définit le secteur laitier canadien depuis des générations.
L’enquête, initiée la semaine dernière suite aux plaintes formelles des associations de producteurs laitiers canadiens, se concentre spécifiquement sur les isolats et concentrés de protéines de lait – des ingrédients clés dans tout, des boissons protéinées aux préparations pour nourrissons. Selon les données de l’industrie, les importations de ces produits en provenance des États-Unis ont augmenté de 37% depuis 2020, dépassant considérablement la croissance de la consommation intérieure.
“Il ne s’agit pas de concurrence loyale, mais plutôt de contournement des cadres commerciaux établis,” a déclaré Marc Desmarais, porte-parole des Producteurs laitiers du Canada. “Lorsque les producteurs américains vendent ces produits protéinés à des prix artificiellement bas, ils ne nuisent pas seulement aux agriculteurs canadiens – ils sapent toute l’infrastructure de gestion de l’offre qui assure la stabilité des prix pour les consommateurs.”
L’enquête met une pression renouvelée sur l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), qui contient déjà des dispositions laitières fortement contestées. En vertu de l’accord, le Canada s’est engagé à offrir aux producteurs américains un accès élargi au marché, mais les responsables canadiens soutiennent que la situation actuelle va bien au-delà de ce qui a été négocié.
Les documents déposés auprès de l’ITC montrent des écarts de prix allant jusqu’à 27% entre ce que les entreprises américaines facturent sur leur marché intérieur et ce qu’elles vendent au Canada. Cette pratique, si elle est confirmée comme étant du dumping, violerait les règles de l’Organisation mondiale du commerce et pourrait déclencher des tarifs de représailles.
Le Conseil américain d’exportation des produits laitiers a fermement rejeté ces allégations, affirmant que les marchés canadiens restent artificiellement protégés. “Les consommateurs canadiens paient près de 40% de plus pour les produits laitiers que les Américains en raison d’un système de gestion de l’offre dépassé,” a déclaré Thomas Gallagher, président du conseil. “Les producteurs américains offrent simplement des alternatives compétitives dans les segments où nous avons obtenu un accès légitime au marché.”
Les enjeux dépassent l’économie agricole. L’industrie laitière canadienne génère 24,2 milliards de dollars annuellement et soutient plus de 221 000 emplois, selon Agriculture et Agroalimentaire Canada. Toute perturbation importante du secteur pourrait envoyer des ondes de choc à travers les communautés rurales déjà confrontées à des pressions économiques.
Les analystes commerciaux notent que ce différend représente un test crucial pour la nouvelle relation commerciale entre les deux pays après l’ALENA. “Cette enquête établira d’importants précédents sur la façon dont les différends commerciaux laitiers sont résolus sous l’ACEUM,” a expliqué Dre Emmanuelle Latraverse, experte en commerce international à l’Université de Colombie-Britannique. “Le résultat pourrait influencer la dynamique du commerce agricole en Amérique du Nord pour les années à venir.”
L’ITC devrait publier des conclusions préliminaires d’ici mi-avril, avec des déterminations finales potentiellement avant l’été. Si le dumping est confirmé, le Canada pourrait imposer des droits compensateurs sur les importations de protéines laitières américaines, déclenchant potentiellement une confrontation commerciale plus large.
Alors que les deux parties préparent leurs arguments, une chose reste claire : dans le monde complexe du commerce laitier international, la ligne entre la concurrence loyale et la manipulation du marché n’a jamais été plus contestée – ou plus lourde de conséquences pour l’avenir des relations agricoles nord-américaines.