Les élégants bureaux vitrés du corridor technologique de Toronto brillent de promesse, mais à l’intérieur, une réalité troublante persiste. Malgré des années d’engagements en faveur de la diversité et d’initiatives d’inclusion, le secteur technologique canadien continue de fonctionner avec un déséquilibre flagrant entre les genres qui menace non seulement l’égalité, mais aussi notre avantage concurrentiel national dans l’économie numérique mondiale.
Une récente analyse de l’industrie a révélé que les femmes n’occupent que 26 % des postes technologiques dans les entreprises canadiennes, avec des chiffres encore plus bas dans les postes de direction. Les statistiques sont encore plus décourageantes pour les femmes de couleur, qui représentent moins de 5 % des postes de direction dans le secteur technologique à l’échelle nationale. Alors que la concurrence technologique mondiale s’intensifie, cette lacune en matière de talents n’est pas simplement une question sociale – c’est une urgence commerciale.
« Nous sommes essentiellement en compétition avec un bras attaché dans le dos », explique Anita Sharma, PDG de TechEquity Canada basée à Vancouver. « Quand votre industrie exclut systématiquement la moitié de la population d’une participation significative, vous n’échouez pas seulement moralement, vous échouez stratégiquement. »
La tristement célèbre culture du « brogrammeur » – caractérisée par des environnements à code masculin qui récompensent les comportements agressifs et mettent souvent de côté les perspectives féminines – continue de prospérer dans les espaces technologiques canadiens. Cette culture se manifeste dans tout, des pratiques d’embauche au développement de produits, créant des environnements où les femmes déclarent fréquemment se sentir mal accueillies ou sous-évaluées.
Tanya Wills, développeuse principale qui a quitté une grande entreprise technologique de Toronto l’année dernière, a décrit son expérience : « Ce n’était pas toujours de la discrimination flagrante. Parfois, c’était d’être interrompue lors des réunions, de voir des collègues masculins moins qualifiés être promus, ou de voir mes compétences techniques constamment remises en question. La mort par mille coupures reste une mort. »
Les conséquences économiques sont profondes. Des recherches du MaRS Discovery District indiquent que les entreprises technologiques diversifiées en matière de genre surpassent les concurrents homogènes de 35 % en rentabilité. Les entreprises canadiennes qui négligent cet avantage risquent de se laisser distancer par des concurrents internationaux qui ont poursuivi plus agressivement la diversité.
Certaines entreprises réalisent des progrès significatifs. Lightspeed POS, basée à Montréal, a atteint une représentation féminine de 50 % dans l’ensemble de son organisation et de 40 % dans les rôles techniques – dépassant considérablement les moyennes de l’industrie. Leur approche combine un recrutement ciblé avec des pratiques culturelles axées sur la rétention.
« Nous avons éliminé l’entretien d”adéquation culturelle’ qui perpétue souvent les préjugés », explique Marc Chen, directeur des ressources humaines de Lightspeed. « Au lieu de cela, nous nous concentrons sur ‘l’apport culturel’ – quelles perspectives uniques cette personne peut-elle apporter que nous n’avons pas actuellement ? »
Les établissements d’enseignement repensent également leurs approches. Le programme d’informatique de l’Université de Waterloo a mis en œuvre des initiatives qui ont fait passer les inscriptions féminines de 12 % à 31 % en cinq ans, créant un vivier de talents auparavant inexploité.
La politique gouvernementale joue aussi un rôle crucial. Innovation, Sciences et Développement économique Canada a récemment lancé un fonds de 15 millions de dollars ciblant spécifiquement les groupes sous-représentés dans la technologie, mais les critiques soutiennent qu’une intervention plus substantielle est nécessaire pour égaler les programmes de pays comme la Norvège et l’Allemagne.
La pandémie a ajouté une nouvelle complexité au défi. Le travail à distance semblait initialement uniformiser les règles du jeu en éliminant certains obstacles physiques à l’inclusion. Cependant, les données du suivi CO24 Business montrent que les femmes dans la technologie étaient 1,5 fois plus susceptibles de signaler un épuisement professionnel pendant la COVID-19, souvent en raison des responsabilités de soins aux côtés des exigences professionnelles.
Pour que le Canada maintienne sa pertinence dans l’économie numérique mondiale, démanteler la culture du brogrammeur n’est pas facultatif – c’est impératif. Les entreprises qui mènent cette charge rapportent non seulement de meilleures mesures de diversité, mais aussi des produits plus solides, des solutions plus innovantes et de meilleurs résultats financiers.
« Il ne s’agit pas d’apparence ou de charité », dit Sharma. « Il s’agit de construire des entreprises qui reflètent et comprennent l’ensemble de leur clientèle. Comment pouvez-vous créer des produits pour tout le monde quand vos créateurs se ressemblent tous et partagent les mêmes expériences ? »
Alors que la technologie canadienne poursuit son expansion rapide, la question demeure de savoir si l’industrie finira par affronter ses défis persistants en matière de diversité ou continuera à perdre des talents précieux au profit d’environnements plus inclusifs à l’étranger. La réponse pourrait bien déterminer si le Canada devient un leader mondial de la technologie ou simplement un participant à l’avenir numérique que d’autres créent.