Dans une initiative sans précédent pour moderniser les capacités de défense du Canada, la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly préconise un rôle plus important des institutions financières du pays dans le financement des fabricants canadiens de matériel de défense. Ce virage stratégique intervient alors que les préoccupations sécuritaires mondiales s’intensifient et que le Canada cherche à renforcer sa position au sein de l’OTAN tout en soutenant l’Ukraine face à l’agression russe.
“Les institutions financières canadiennes ont historiquement hésité à investir dans la défense,” a déclaré la ministre Joly lors d’une récente allocution aux acteurs de l’industrie à Ottawa. “Mais le paysage sécuritaire mondial a fondamentalement changé. Nous avons besoin que nos banques et nos fonds de pension reconnaissent que l’investissement dans la production nationale de défense n’est pas seulement une bonne affaire—c’est essentiel pour notre sécurité nationale.”
L’appel à l’action de la ministre représente un changement significatif dans l’approche du Canada au financement de l’industrie de la défense. Traditionnellement, les banques et les fonds de pension canadiens ont maintenu une distance prudente vis-à-vis des investissements liés à la défense, citant souvent des préoccupations éthiques et des considérations de risque. Cette hésitation a créé un écart de financement qui a entravé la croissance des fabricants nationaux et rendu le Canada plus dépendant des fournisseurs étrangers pour les équipements de défense critiques.
Selon des données économiques récentes, le secteur de la défense du Canada contribue environ 10 milliards de dollars annuellement à l’économie et soutient plus de 60 000 emplois. Cependant, les experts de l’industrie suggèrent que ces chiffres pourraient être considérablement plus élevés avec un meilleur accès au capital.
Le gouvernement fédéral semble prêt à prendre des mesures concrètes pour faciliter cette relation financière. Des sources au sein du ministère des Finances indiquent que le prochain budget fédéral pourrait inclure des dispositions pour élargir le mandat de la Banque de développement du Canada (BDC) afin de soutenir spécifiquement le financement de l’industrie de la défense. Une telle démarche refléterait les stratégies employées par d’autres alliés de l’OTAN, notamment les États-Unis et la France, qui disposent de mécanismes de financement solides soutenus par le gouvernement pour leurs secteurs de défense.
“Nous examinons les moyens de réduire les risques des investissements dans les technologies de défense critiques,” a confirmé un haut fonctionnaire du ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique. “L’objectif est de créer des véhicules de financement qui rendent ces investissements plus attrayants tout en s’assurant qu’ils s’alignent avec nos objectifs de sécurité plus larges.”
L’initiative du gouvernement survient au moment où l’on reconnaît de plus en plus que l’état de préparation de la défense du Canada fait face à des défis importants. Un récent rapport d’un comité parlementaire a mis en évidence des lacunes critiques dans l’équipement militaire canadien et a appelé à une augmentation de la capacité de production nationale pour tout, des munitions aux systèmes d’armes sophistiqués.
Les représentants de l’industrie de la défense ont accueilli favorablement les commentaires de Joly. “Cette reconnaissance du défi de financement est attendue depuis longtemps,” a déclaré Richard Thompson, PDG de l’Association canadienne des fabricants de défense. “Nos membres possèdent des capacités de classe mondiale mais ont souvent été forcés de chercher des capitaux à l’étranger, ce qui a parfois entraîné la fuite de propriété intellectuelle et de capacité de production du Canada.”
Tout le monde n’est cependant pas convaincu. Plusieurs groupes de défense de l’environnement et de la paix ont exprimé des inquiétudes quant au détournement potentiel de capitaux des investissements en technologies vertes vers la fabrication de matériel de défense. “Nous devons être prudents sur la façon dont nous allouons les ressources financières,” a déclaré Patricia Moreau de l’Initiative canadienne pour la paix. “Il y a un risque réel de compromettre nos engagements climatiques si nous réorientons des investissements importants vers la production de défense.”
L’initiative de la ministre soulève également des questions sur la politique industrielle plus large du Canada. Alors que le gouvernement poursuit simultanément le développement des technologies vertes et des stratégies de minéraux critiques, certains économistes se demandent si le Canada a la capacité d’investissement nécessaire pour ajouter une autre priorité à forte intensité de capital.
Alors que les tensions dans les points chauds mondiaux continuent d’augmenter et que les alliés de l’OTAN pressent le Canada de respecter ses engagements en matière de dépenses de défense, la pression pour trouver des solutions de financement innovantes ne fera qu’augmenter. L’intervention de la ministre Joly suggère que le gouvernement considère le secteur financier comme un partenaire essentiel pour relever ce défi.
Alors que le Canada navigue sur ce terrain complexe de sécurité nationale, de développement économique et d’investissement éthique, une question fondamentale émerge : pouvons-nous concilier notre prudence traditionnelle envers les dépenses de défense avec les réalités sévères d’un ordre mondial de plus en plus instable?