Dans une évaluation franche qui a créé des remous dans le secteur énergétique canadien, Greg Ebel, PDG d’Enbridge, a déclaré que le Canada “se met des bâtons dans les roues” l’empêchant d’atteindre le statut de superpuissance énergétique, malgré ses ressources et capacités de classe mondiale.
Lors du Forum économique de Toronto hier, Ebel n’a pas mâché ses mots concernant ce qu’il considère comme des obstacles auto-imposés qui entravent le potentiel énergétique du Canada. “Nous avons tout ce qu’il faut pour être un leader énergétique mondial—des ressources naturelles abondantes, une expertise technique et une position géographique stratégique. Ce qui nous manque, c’est la volonté nationale de capitaliser sur ces avantages,” a déclaré Ebel devant une salle remplie de leaders de l’industrie et de décideurs politiques.
Cette critique survient à un moment charnière pour le secteur énergétique canadien, qui continue de naviguer entre les priorités concurrentes des engagements environnementaux et du développement économique. Selon des données récentes de Ressources naturelles Canada, le pays détient les troisièmes plus grandes réserves de pétrole au monde, mais les retards réglementaires ont empêché plusieurs grands projets de pipelines d’avancer au cours de la dernière décennie.
“Alors que d’autres nations productrices d’énergie simplifient leurs processus d’approbation et investissent dans les infrastructures, le Canada a créé un environnement réglementaire où l’incertitude est devenue la seule certitude,” a souligné Ebel, citant des statistiques montrant que les grands projets énergétiques prennent maintenant en moyenne 7 à 10 ans pour être approuvés au Canada, contre 3 à 5 ans dans les juridictions concurrentes.
Le patron d’Enbridge a particulièrement mis en évidence les incohérences dans la politique énergétique nationale qui ont envoyé des signaux contradictoires aux investisseurs. Les données du gouvernement fédéral révèlent que les investissements directs étrangers dans les projets énergétiques canadiens ont diminué de 37% depuis 2015, tandis que les États-Unis voisins ont connu une augmentation de 24% pendant la même période.
Les analystes du secteur énergétique ont tendance à partager l’évaluation d’Ebel. “Le Canada s’est essentiellement handicapé lui-même par la complexité réglementaire et des objectifs politiques contradictoires,” a expliqué Dre Amrita Singh, économiste spécialisée en énergie à l’Université de Calgary. “Le manque de consensus entre les gouvernements provinciaux et fédéral a créé un environnement où une action décisive devient presque impossible.”
Les enjeux économiques sont considérables. Le secteur énergétique contribue à environ 10% du PIB du Canada et emploie plus de 800 000 Canadiens directement et indirectement, selon Statistique Canada. Les projections de l’industrie suggèrent que des politiques rationalisées pourraient potentiellement créer 200 000 emplois supplémentaires au cours de la prochaine décennie.
Le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, a répondu aux commentaires d’Ebel en défendant l’approche équilibrée du gouvernement. “Nous sommes engagés dans un développement responsable qui respecte nos obligations climatiques tout en maximisant les bénéfices économiques,” a déclaré Guilbeault. “La transition énergétique présente à la fois des défis et des opportunités qui nécessitent une navigation réfléchie.”
Cependant, les leaders provinciaux de l’Alberta et de la Saskatchewan ont fait écho aux frustrations d’Ebel. La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, a qualifié l’approche fédérale de “délibérément obstructionniste” et a appelé à des réformes politiques immédiates pour accélérer l’approbation des projets.
La critique d’Ebel va au-delà des obstacles réglementaires pour décrire ce qu’il appelle un “vide stratégique” dans l’approche canadienne des marchés énergétiques mondiaux. “Au moment précis où les préoccupations mondiales en matière de sécurité énergétique augmentent la demande pour des fournisseurs fiables, le Canada rate l’occasion de se positionner comme fournisseur privilégié,” a-t-il déclaré.
Les experts en sécurité énergétique soulignent l’intérêt croissant de l’Union européenne pour diversifier ses approvisionnements en gaz naturel loin de la Russie comme une opportunité majeure que le Canada a été lent à saisir en raison d’infrastructures d’exportation limitées.
Le PDG d’Enbridge a conclu ses remarques par un appel à une stratégie énergétique nationale cohérente qui équilibre les objectifs environnementaux et les impératifs économiques. “Les pays qui mèneront la transition énergétique sont ceux qui tirent parti de leurs forces existantes tout en développant de nouvelles capacités—le Canada a tout ce qui est nécessaire, sauf la vision unifiée pour y parvenir.”
Alors que les marchés énergétiques mondiaux continuent d’évoluer au milieu des tensions géopolitiques et des préoccupations climatiques, la question demeure: le Canada peut-il surmonter ses divisions internes pour transformer sa richesse en ressources naturelles en avantage stratégique, ou l’impasse réglementaire continuera-t-elle à limiter son potentiel énergétique?