Dans l’air frais d’automne devant la Colline du Parlement hier, des centaines de travailleurs postaux se sont rassemblés dans ce qui marque l’action syndicale la plus importante contre Postes Canada depuis près d’une décennie. Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) a officiellement lancé une grève nationale après des mois de négociations infructueuses, paralysant pratiquement la livraison du courrier à travers le pays et soulevant des questions sur l’approche du gouvernement en matière de réformes postales.
“Nous ne voulions pas en arriver là aujourd’hui,” a déclaré Julianne Thompson, présidente nationale du STTP, sa voix portant à travers la foule de travailleurs en vestes rouges. “Mais quand le gouvernement menace de démanteler un service dont les Canadiens dépendent sans consultation appropriée avec les travailleurs qui fournissent ce service, nous n’avons pas d’autre choix que de prendre position.”
Au cœur du conflit se trouvent les réformes fédérales annoncées plus tôt cet été qui restructureraient considérablement les opérations de Postes Canada. Les changements proposés comprennent la réduction de la fréquence de livraison du courrier dans les zones urbaines à trois jours par semaine, la conversion de jusqu’à 3 500 postes à temps plein en postes à temps partiel, et l’introduction de plus d’installations de tri automatisées que les représentants syndicaux affirment pouvoir éliminer environ 8 000 emplois sur cinq ans.
Les experts du travail considèrent ce conflit comme emblématique des tensions plus larges entre les efforts de numérisation et la protection des travailleurs. “Ce que nous observons avec Postes Canada reflète des luttes similaires qui se produisent dans l’ensemble des services publics,” explique Dr. Martin Chen, professeur de relations de travail à l’Université de Toronto. “Les gouvernements poussent à la modernisation et à la réduction des coûts tandis que les travailleurs se battent pour s’assurer que l’efficacité ne se fasse pas aux dépens d’emplois de qualité.”
L’impact économique de la grève se fait déjà sentir. Les petites entreprises qui dépendent de la livraison postale pour l’expédition de produits signalent des perturbations importantes, certaines estimant des pertes allant jusqu’à 30% de leurs revenus hebdomadaires. Entre-temps, les sondages indiquent que 68% des Canadiens sont préoccupés par l’impact de la grève sur les services postaux essentiels, particulièrement dans les communautés rurales où les alternatives numériques restent limitées.
Le gouvernement fédéral a signalé qu’il pourrait envisager une législation de retour au travail si la grève persiste au-delà de deux semaines, une décision critiquée par les défenseurs du travail comme portant atteinte aux droits de négociation collective. La ministre du Travail Sophie St-Laurent a défendu la position du gouvernement au Parlement hier, déclarant: “Bien que nous respections le droit de grève, nous devons équilibrer cela avec le service essentiel que Postes Canada fournit à des millions de Canadiens.”
Les services postaux dans plusieurs autres pays ont subi des transformations similaires en réponse à la baisse du volume de courrier et à la concurrence des entreprises de livraison privées. Royal Mail au Royaume-Uni a mis en œuvre des réformes comparables en 2019, entraînant une réduction de 15% de la main-d’œuvre mais rapportant également une amélioration de la stabilité financière selon les analyses des services postaux internationaux.
Le STTP a présenté un plan de modernisation alternatif qui comprend l’expansion des services financiers dans les bureaux de poste, la création d’un système bancaire postal pour servir les communautés sous-bancarisées, et le développement d’une flotte nationale de véhicules électriques de livraison. Ces propositions ont gagné le soutien des groupes environnementaux et des organisations de défense des zones rurales, mais ont été rejetées par la direction de Postes Canada comme financièrement insoutenables.
À la tombée de la nuit lors du premier jour de la grève, les travailleurs postaux ont maintenu leurs piquets de grève devant les principales installations de tri à travers le pays. Les deux parties ont convenu de poursuivre les négociations en présence d’un médiateur fédéral, bien qu’aucune ne semble disposée à faire des compromis significatifs sur leurs exigences fondamentales. Ce différend met en lumière le défi complexe de moderniser des services publics essentiels tout en protégeant des emplois de qualité dans une économie de plus en plus numérique.
Alors que les Canadiens s’adaptent à un service postal perturbé dans les jours à venir, une question fondamentale émerge : dans notre course à la numérisation et à l’optimisation des services publics, prenons-nous suffisamment en considération les impacts humains et communautaires de ces transformations?