Les vents de changement politique qui soufflent sur l’Amérique ont une fois de plus ravivé les discussions sur le projet d’oléoduc Keystone XL, longtemps contesté. Malgré un nouvel élan politique et des promesses de campagne pour ressusciter l’oléoduc annulé, les experts de l’industrie et les analystes du marché signalent que la voie à suivre reste semée d’obstacles qui pourraient s’avérer insurmontables dans le paysage énergétique actuel en évolution.
“Je vois beaucoup d’obstacles importants à une relance,” explique Dre Jennifer Morrison, analyste principale en politique énergétique à l’Institut canadien pour le développement des ressources. “Les conditions économiques, réglementaires et de marché qui rendaient Keystone viable il y a dix ans ont fondamentalement changé. Nous sommes face à un paradigme énergétique complètement différent maintenant.”
Le projet de 8 milliards de dollars, initialement conçu pour transporter 830 000 barils de pétrole brut par jour des sables bitumineux de l’Alberta vers les raffineries le long de la côte américaine du Golfe, a été effectivement résilié en 2021 lorsque le président Biden a révoqué son permis dès son premier jour au bureau. TC Energy, le promoteur de l’oléoduc, a par la suite abandonné le projet après des années de batailles réglementaires et de défis environnementaux.
L’économiste de l’énergie Michael Torres souligne les transformations significatives du marché qui pourraient faire dérailler les efforts de relance. “Les producteurs albertains se sont déjà adaptés à l’absence de Keystone en sécurisant des routes de transport alternatives. Entre-temps, les raffineries américaines ont ajusté leurs chaînes d’approvisionnement et leurs capacités de traitement. Rouvrir cette conversation signifie demander à plusieurs parties prenantes de revenir sur des années de réalignement stratégique.”
Les considérations financières compliquent davantage les choses. Alors que TC Energy a déjà absorbé une dépréciation de 2,2 milliards de dollars après avoir abandonné le projet, les investisseurs restent méfiants. “Les marchés financiers sont devenus de plus en plus réticents face aux risques liés aux infrastructures de combustibles fossiles à long terme,” note Patricia Chang, vice-présidente chez Global Energy Partners. “La menace d’annulations futures de permis crée une prime d’incertitude qui rend le financement extrêmement difficile.”
Les obstacles juridiques et réglementaires présentent des complications supplémentaires. Toute relance nécessiterait de naviguer dans un réseau complexe de permissions fédérales, provinciales et locales à travers plusieurs juridictions. Les groupes autochtones et les organisations environnementales qui ont réussi à retarder les versions précédentes du projet restent organisés et prêts à contester les nouvelles tentatives par des poursuites judiciaires.
“Le paysage juridique n’a fait que se complexifier,” affirme l’avocat environnemental Robert Williams. “Les tribunaux ont de plus en plus reconnu la nécessité d’évaluations complètes des impacts climatiques dans les approbations d’infrastructure. Toute nouvelle demande ferait face à un examen plus rigoureux par rapport aux révisions antérieures.”
La transition énergétique mondiale ajoute une autre couche de complexité. Les grands investisseurs institutionnels ont adopté des critères d’investissement axés sur le climat qui limitent l’exposition aux projets à forte intensité de carbone. Simultanément, les constructeurs automobiles accélèrent la production de véhicules électriques tandis que les gouvernements du monde entier mettent en œuvre des réglementations d’émissions de plus en plus strictes.
“La fenêtre de viabilité économique pour les nouvelles infrastructures de transport pétrolier se rétrécit,” explique Dre Sarah Johnson de l’Institut des futures énergétiques. “Les projections de demande à long terme pour les produits pétroliers ont été revues à la baisse à plusieurs reprises ces dernières années. Construire un oléoduc avec une durée de vie opérationnelle de 50 ans devient difficile à justifier lorsque le pic de la demande pétrolière pourrait arriver dans les deux prochaines décennies.”
Tous les observateurs ne partagent pas ce pessimisme. Certains producteurs canadiens maintiennent que les préoccupations de sécurité énergétique nord-américaine et les goulots d’étranglement persistants dans le transport pourraient encore rendre le projet viable dans les bonnes conditions.
“La proposition de valeur fondamentale—connecter le pétrole lourd canadien aux raffineries spécialisées du Golfe—n’a pas disparu,” soutient William Peterson, directeur exécutif de l’Alliance pétrolière de l’Ouest. “Ce qui a changé, c’est le calcul du risque politique et financier, pas la logique économique sous-jacente.”
Alors que ce débat se déroule, une question reste centrale : dans un paysage énergétique en évolution rapide où les horizons d’investissement se raccourcissent et les considérations climatiques s’intensifient, un projet conçu pour les réalités du marché d’hier peut-il trouver un terrain solide dans l’avenir énergétique de demain?