Dans un virage stratégique qui reflète des pressions économiques croissantes, les responsables commerciaux canadiens et américains ont discrètement accéléré les discussions sur des accords commerciaux sectoriels, marquant un changement significatif dans la relation commerciale continentale. Ces accords ciblés, axés sur des industries critiques plutôt que sur des ententes globales, surviennent alors que le potentiel retour de l’ancien président Trump à la Maison Blanche jette une ombre sur la dynamique commerciale nord-américaine.
Les discussions, qui ont débuté plus tôt cette année, se sont intensifiées suite aux récents échanges diplomatiques entre Ottawa et Washington. Selon des hauts fonctionnaires familiers avec les négociations, les deux pays priorisent des accords dans la fabrication automobile, les produits agricoles et les services numériques – des secteurs qui représentent collectivement plus de 300 milliards de dollars en commerce transfrontalier annuel.
« Ce que nous voyons est une adaptation pragmatique aux réalités politiques », explique Dr. Michael Kergin, ancien ambassadeur canadien aux États-Unis. « Plutôt que de poursuivre des cadres commerciaux globaux qui pourraient devenir des cibles politiques, les deux gouvernements identifient des secteurs spécifiques où les avantages mutuels sont clairs et les risques politiques minimisés. »
Cette approche sectorielle représente une nette rupture avec les accords commerciaux globaux qui ont défini le commerce nord-américain pendant des décennies. L’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), qui a remplacé l’ALENA en 2020, a pris des années à négocier et a fait face à d’importants vents politiques contraires. En revanche, ces accords ciblés pourraient être mis en œuvre avec moins de friction politique et potentiellement éviter de déclencher des processus d’approbation législative dans l’un ou l’autre pays.
La ministre canadienne des Finances, Chrystia Freeland, a reconnu ce changement de stratégie lors de son discours au Forum économique de Toronto la semaine dernière. « Nous explorons des moyens pratiques de renforcer les chaînes d’approvisionnement transfrontalières qui profitent aux travailleurs des deux côtés de la frontière », a-t-elle noté, tout en évitant soigneusement les références directes aux préoccupations géopolitiques plus larges qui motivent cette approche.
Les experts en commerce soulignent que les récentes perturbations dans les chaînes d’approvisionnement mondiales ont accéléré cette orientation sectorielle. Les minéraux critiques, les composants de semi-conducteurs et les produits agricoles sont devenus des domaines prioritaires, les deux pays cherchant à réduire leur dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers.
Le Conseil canadien des affaires a accueilli favorablement ces développements, leur dernier rapport de perspectives économiques notant que « les accords sectoriels présentent une opportunité de résoudre des irritants commerciaux spécifiques sans rouvrir des négociations globales politiquement chargées ».
Cependant, cette approche fait face à des défis importants. Les organisations syndicales au Canada et aux États-Unis ont exprimé des inquiétudes concernant une potentielle pression à la baisse sur les salaires et les conditions de travail. Les Travailleurs unis de l’automobile et Unifor ont tous deux appelé à des protections plus fortes pour les travailleurs dans tout accord sectoriel automobile.
Les défenseurs de l’environnement ont également remis en question si ces accords plus étroits pourraient contourner des normes environnementales plus strictes qui seraient typiquement incluses dans des accords commerciaux plus complets. « Nous craignons qu’en fragmentant le commerce en plus petits morceaux, d’importantes protections environnementales puissent passer entre les mailles du filet », a noté Jennifer Campbell, directrice de l’Association canadienne du droit de l’environnement.
Le moment choisi pour ces discussions est particulièrement remarquable compte tenu de l’approche de l’élection présidentielle américaine. Trump, qui a maintenu sa position commerciale protectionniste, a spécifiquement mentionné le Canada comme cible pour d’éventuels tarifs s’il revenait au pouvoir. Des responsables canadiens, s’exprimant sous couvert d’anonymat, ont reconnu que l’établissement d’accords sectoriels avant tout changement potentiel d’administration pourrait créer des « poches de stabilité » dans la relation bilatérale.
Pour les provinces canadiennes fortement dépendantes du commerce avec les États-Unis, particulièrement l’Ontario et le Québec, ces développements revêtent une importance particulière. Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a récemment souligné que « protéger les chaînes d’approvisionnement intégrées n’est pas seulement une question d’économie – il s’agit d’emplois dans les communautés à travers notre province ».
Alors que ces discussions progressent dans les mois à venir, les deux pays font face à la tâche délicate d’équilibrer les intérêts économiques immédiats avec des considérations stratégiques à plus long terme. La question qui se pose maintenant aux leaders politiques et commerciaux des deux côtés de la frontière est la suivante : ces accords sectoriels fourniront-ils suffisamment de stabilité pour résister aux tempêtes potentielles dans la relation commerciale plus large, ou ne feront-ils que retarder des ajustements plus fondamentaux dans l’intégration économique nord-américaine ?