Dans une démarche décisive qui témoigne d’une détermination occidentale croissante, l’Union européenne a approuvé à l’unanimité son 14e train de sanctions contre la Russie, ciblant des sources de revenus essentielles qui financent la machine de guerre de Moscou en Ukraine. Ces mesures, finalisées lundi après plusieurs semaines de négociations diplomatiques, représentent l’une des tentatives les plus complètes à ce jour pour limiter la capacité de la Russie à contourner les restrictions existantes.
“Ces sanctions vont davantage assécher le trésor de guerre de Poutine,” a déclaré la Première ministre estonienne Kaja Kallas lors de l’annonce à Bruxelles. “Nous ciblons la flotte fantôme russe, nous luttons contre le contournement des sanctions via les pays d’Asie centrale, et nous coupons des sources de revenus supplémentaires dont le Kremlin a désespérément besoin.”
Le nouveau train de sanctions s’attaque directement à la “flotte fantôme” croissante de pétroliers russes—des navires opérant en dehors des réglementations internationales pour transporter du pétrole au-dessus du plafond de prix de 60 dollars le baril fixé par le G7. Les responsables européens estiment que cette flotte s’est élargie à plus de 600 navires depuis le début des sanctions occidentales, permettant à la Russie de maintenir ses exportations énergétiques cruciales malgré les restrictions précédentes.
Les analystes financiers du Conseil de sécurité économique basé à Bruxelles rapportent que la Russie a gagné environ 15,6 milliards d’euros grâce aux exportations de pétrole au premier trimestre 2024 seulement, soulignant l’urgence de ces nouvelles mesures.
“Ce à quoi nous assistons est un jeu économique du chat et de la souris,” explique Martin Korhonen, économiste principal à l’Institut royal des affaires internationales. “La Russie s’adapte à chaque vague de sanctions, forçant les alliés occidentaux à continuellement affiner leur approche. Ce train de sanctions cible spécifiquement les failles que Moscou a exploitées au cours de l’année dernière.”
Les sanctions élargissent également les contrôles à l’exportation existants de l’UE sur les biens à double usage—des articles ayant des applications tant civiles que militaires—qui atteignent la Russie via des pays tiers. Les nations d’Asie centrale, particulièrement le Kazakhstan et le Kirghizistan, ont connu des hausses suspectes d’importations de technologies restreintes qui finissent par arriver en Russie.
Les données de la Commission européenne montrent que les importations de semi-conducteurs du Kazakhstan en provenance de l’UE ont augmenté de 212% en 2023 par rapport aux niveaux d’avant-guerre, tandis que les importations de composants électroniques du Kirghizistan ont augmenté de 183% durant la même période. Ces composants sont essentiels pour la production d’équipements militaires russes.
“Ce train de sanctions responsabilise ceux qui permettent la guerre de Poutine,” a déclaré le chef de la politique étrangère de l’UE Josep Borrell. “Nous avons désigné des entités supplémentaires impliquées dans le complexe militaro-industriel russe et celles qui soutiennent la déportation illégale d’enfants ukrainiens.”
Les sanctions arrivent à un moment critique du conflit. Les forces russes ont réalisé des avancées progressives dans l’est de l’Ukraine, tandis que les troupes ukrainiennes font face à des pénuries de munitions malgré la récente approbation de l’aide américaine. Le moment coïncide également avec la présidence tournante de l’UE assumée par la Hongrie—une complication potentielle étant donné les liens relativement plus étroits du Premier ministre Viktor Orbán avec Moscou.
Pour les Russes ordinaires, l’impact économique continue de s’accentuer. Bien que l’économie russe ait montré une résilience surprenante, l’inflation reste obstinément élevée à 7,8%, bien au-dessus de l’objectif de 4% de la banque centrale. Le pouvoir d’achat des consommateurs a diminué d’environ 11% depuis le début de la guerre, selon des analystes économiques russes indépendants.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a salué ces mesures mais a poussé les alliés à aller plus loin. “Les sanctions doivent être appliquées avec la même détermination qu’elles sont annoncées,” a-t-il déclaré lors d’une allocution vidéo aux dirigeants européens. “Chaque pétrolier qui échappe aux restrictions, chaque micropuce qui atteint les usines militaires russes représente des souffrances continues pour les civils ukrainiens.”
Alors que la guerre approche de sa troisième année sans solution diplomatique en vue, la question fondamentale demeure: la pression économique peut-elle à elle seule forcer un changement dans le calcul stratégique de Poutine, ou assistons-nous à l’émergence d’un nouvel ordre économique mondial fracturé où les sanctions ont des rendements décroissants?