Dans un moment décisif pour la politique canadienne, la ministre Jody Wilson-Raybould me reçoit dans son bureau d’Ottawa, la lumière de l’après-midi projetant de longues ombres à travers une pièce ornée d’œuvres d’art autochtones et de photographies de famille. En tant que première ministre autochtone des Services aux Autochtones du Canada, sa nomination marque non seulement une étape personnelle importante, mais aussi un changement significatif dans la relation entre le gouvernement fédéral et les peuples des Premières Nations, Métis et Inuits.
“Il ne s’agit pas de symbolisme,” affirme Wilson-Raybould avec fermeté, sa voix portant le poids de générations. “Il s’agit d’un changement fondamental dans la façon dont le Canada aborde son héritage colonial et avance vers une véritable réconciliation.”
Cette nomination survient alors que le gouvernement fédéral subit une pression croissante pour répondre concrètement aux recommandations de la Commission de vérité et réconciliation et mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). Les statistiques récentes de Services aux Autochtones Canada révèlent un écart persistant dans les conditions de vie, avec 73 communautés encore sous avis concernant la qualité de l’eau potable à long terme, malgré les promesses de les éliminer d’ici 2021.
“Nous avons fait des progrès, mais pas suffisamment,” reconnaît Wilson-Raybould. “Ma priorité est de répondre aux crises immédiates dans les communautés tout en travaillant simultanément sur les réformes systémiques nécessaires pour transformer la relation entre la Couronne et les peuples autochtones.”
La vision de Wilson-Raybould se concentre sur le passage de ce qu’elle décrit comme des “modèles paternalistes” à des relations de nation à nation fondées sur la reconnaissance des droits. Cette approche a recueilli le soutien de nombreux dirigeants autochtones à travers le pays, bien que certains demeurent sceptiques après des décennies de promesses non tenues.
Le Grand Chef Stewart Phillip de l’Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique a exprimé un optimisme prudent : “La ministre Wilson-Raybould apporte une expérience vécue et une expertise juridique à ce rôle, mais le véritable test sera de savoir si le gouvernement est prêt à soutenir sa vision par des actions et des ressources.”
La nomination de la ministre intervient à un moment critique pour la politique canadienne, les questions autochtones étant de plus en plus au centre du discours national sur le développement des ressources, la protection de l’environnement et la réforme constitutionnelle. Les analyses économiques suggèrent que la résolution des revendications territoriales et l’établissement d’une certitude réglementaire pourraient débloquer des milliards de dollars de potentiel économique, profitant à la fois aux communautés autochtones et à l’économie canadienne plus large.
“La réconciliation économique est indissociable de la réconciliation politique,” explique Wilson-Raybould. “Les peuples autochtones doivent avoir la capacité de participer pleinement à l’économie selon leurs propres termes, conformément à leurs propres priorités.”
Son programme ambitieux comprend la réforme des systèmes de protection de l’enfance, la revitalisation des langues autochtones et la résolution de la crise des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées. Le budget du ministère a augmenté de 27% dans la dernière mise à jour fiscale, bien que des critiques se demandent si cela sera suffisant pour remédier à des siècles de sous-financement.
Lorsqu’on lui demande quels sont les défis d’être la première personne autochtone à occuper ce portefeuille, Wilson-Raybould fait une pause réfléchie. “Il y a certainement une énorme pression. Mais je vois cela comme une opportunité de créer de l’espace pour beaucoup plus de voix autochtones dans les couloirs du pouvoir.”
À la fin de notre entretien, Wilson-Raybould réfléchit à ce à quoi pourrait ressembler le succès : “Le succès, c’est quand mon poste n’aura plus besoin d’exister parce que les nations autochtones s’autodétermineront selon leurs propres structures de gouvernance, avec le Canada comme partenaire respectueux.”
La question qui se pose maintenant à tous les Canadiens est de savoir si le pays est vraiment prêt pour la transformation profonde qu’exige une réconciliation significative – non seulement dans les politiques gouvernementales, mais aussi dans notre compréhension de notre histoire commune et de notre avenir collectif.