À l’ombre des tours de verre et d’acier de nos villes canadiennes, une révolution agricole silencieuse prend racine. Des plateaux de culture empilés, baignés de lumières DEL roses et violettes, produisent des légumes frais toute l’année, indépendamment des conditions hivernales rigoureuses qui ont historiquement limité notre capacité de production alimentaire domestique.
Cette innovation agricole—l’agriculture verticale—émerge rapidement comme une pierre angulaire de la stratégie canadienne pour renforcer notre souveraineté alimentaire et réduire notre dépendance aux importations. Alors que les changements climatiques s’intensifient et que les vulnérabilités des chaînes d’approvisionnement deviennent de plus en plus évidentes, ces exploitations intérieures offrent un aperçu d’un avenir alimentaire plus résilient.
“Nous mettons essentiellement notre système alimentaire à l’abri des intempéries,” explique Dre Lenore Newman, directrice de l’Institut de l’alimentation et de l’agriculture à l’Université de la vallée du Fraser. “Les fermes verticales peuvent produire des rendements constants 365 jours par année tout en utilisant jusqu’à 95% moins d’eau que les méthodes agricoles conventionnelles.”
L’argument économique en faveur de l’agriculture verticale s’est considérablement renforcé ces dernières années. Bien que les coûts de démarrage demeurent substantiels—généralement entre 10 et 15 millions de dollars pour des opérations d’échelle commerciale—les avancées technologiques et les améliorations en efficacité énergétique ont commencé à réduire les dépenses d’exploitation. Plusieurs entreprises canadiennes d’agriculture verticale ont réussi à attirer d’importants capitaux d’investissement, comme GoodLeaf Farms de Toronto qui a obtenu 65 millions de dollars de financement pour étendre ses opérations à travers le pays.
Ce qui distingue l’agriculture verticale des tentatives antérieures de culture en intérieur est l’intégration sophistiquée des technologies. Les installations modernes emploient des algorithmes d’apprentissage automatique pour optimiser les conditions de croissance, la robotique pour automatiser la récolte, et des éclairages DEL spécialisés qui peuvent être précisément ajustés aux besoins photosynthétiques de chaque culture. Cette approche technologique a permis d’obtenir des rendements par mètre carré qui peuvent dépasser l’agriculture traditionnelle par des facteurs de 10 à 15 fois.
Les avantages environnementaux sont tout aussi convaincants. Au-delà de la conservation dramatique de l’eau, les fermes verticales éliminent le besoin de pesticides et réduisent considérablement les émissions liées au transport en permettant la production alimentaire directement dans les centres urbains. Une récente analyse par CO24 Business a révélé que les légumes cultivés dans les fermes verticales canadiennes peuvent réduire les émissions de carbone associées jusqu’à 80% par rapport aux importations de la Californie ou du Mexique.
Les gouvernements fédéral et provinciaux l’ont remarqué. Agriculture et Agroalimentaire Canada a récemment annoncé un fonds d’innovation de 50 millions de dollars ciblant spécifiquement les technologies agricoles en environnement contrôlé. Pendant ce temps, le Québec a intégré l’agriculture verticale dans sa stratégie provinciale de sécurité alimentaire, offrant des incitatifs fiscaux pour les nouvelles installations dans les zones urbaines.
Des défis subsistent toutefois. La consommation d’énergie—particulièrement pendant les mois d’hiver—représente à la fois un obstacle environnemental et économique. Les critiques soulignent également la diversité limitée des cultures, la plupart des opérations commerciales se concentrant actuellement sur les légumes à feuilles, les herbes et certains petits fruits. Les cultures de base comme le blé, le maïs et les pommes de terre se sont avérées plus difficiles à cultiver de manière rentable dans ces systèmes.
Les leaders de l’industrie s’attaquent activement à ces limitations. Vertical Harvest Farms, basée à Calgary, a mis au point des systèmes de récupération d’énergie thermique qui captent la chaleur résiduelle des bâtiments voisins, réduisant leur empreinte énergétique d’environ 40%. Parallèlement, les chercheurs de l’Installation de recherche sur les systèmes en environnement contrôlé de l’Université de Guelph développent des protocoles pour une gamme plus large de cultures, avec des premiers succès pour des variétés spécialisées de tomates et de poivrons.
Plus important encore, l’agriculture verticale redéfinit la façon dont nous, Canadiens, conceptualisons l’espace agricole. Avec 90% de notre population concentrée à moins de 160 kilomètres de la frontière américaine, et les terres agricoles de premier choix de plus en plus menacées par le développement, la capacité de produire des aliments en milieu urbain et sur des terres marginales représente un changement de paradigme dans la planification agricole.
“Nous assistons au début d’un système alimentaire complémentaire,” note Michael Nickerson, titulaire de la Chaire de recherche sur les systèmes alimentaires et la sécurité à l’Université de la Saskatchewan. “L’agriculture traditionnelle restera essentielle, mais l’agriculture verticale nous donne un système secondaire résilient qui peut fonctionner indépendamment des perturbations climatiques.”
Alors que notre pays navigue à travers des défis croissants de sécurité alimentaire, l’agriculture verticale offre une approche technologique prometteuse pour améliorer l’autosuffisance. La question qui se pose maintenant aux décideurs politiques, aux investisseurs et aux consommateurs : saisirons-nous cette opportunité de redéfinir notre paysage alimentaire, ou laisserons-nous les concurrents mondiaux mener la prochaine révolution agricole?