Malgré la réputation du Canada comme terre d’accueil pour les nouveaux arrivants, un décalage frappant est apparu entre les objectifs ambitieux du gouvernement fédéral en matière d’immigration et le sentiment public. Un récent sondage révèle que près des deux tiers des Canadiens estiment que le pays accepte trop d’immigrants, marquant un changement significatif dans les attitudes nationales pendant une période de croissance démographique sans précédent.
L’enquête nationale, menée par Léger pour l’Association d’études canadiennes, a constaté que 64% des répondants considèrent les niveaux actuels d’immigration comme excessifs. Cela représente une augmentation substantielle par rapport à un sondage similaire en 2022, où 49% exprimaient de telles préoccupations. Ces résultats surviennent alors que le Canada a connu sa croissance démographique la plus rapide depuis des décennies, ajoutant plus d’un million de résidents en 2022-2023, principalement par les voies d’immigration.
“Ce que nous observons est une véritable préoccupation publique concernant la capacité des infrastructures plutôt qu’une résistance culturelle,” explique Dr. Melissa Chen, analyste en politique d’immigration à l’Université de Toronto. “Les Canadiens se demandent si notre marché du logement, notre système de santé et notre planification urbaine peuvent accommoder une croissance aussi rapide dans un délai aussi court.”
Les données du sondage révèlent des perspectives nuancées selon les groupes démographiques. Les résidents du Québec ont exprimé le niveau de préoccupation le plus élevé, 71% estimant que les chiffres de l’immigration sont trop élevés. Notamment, même parmi les immigrants récents, 43% croient que le Canada accepte trop de nouveaux arrivants, ce qui suggère que les préoccupations concernant la capacité d’intégration transcendent les origines culturelles.
Des problèmes de confiance sont également apparus de façon proéminente dans la recherche. Près de la moitié des répondants (47%) sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle “les immigrants prennent les emplois des Canadiens”, tandis que 38% ont exprimé des soupçons que “la plupart des immigrants qui viennent au Canada veulent maintenir la culture et les valeurs de leur pays d’origine plutôt que d’adopter la culture et les valeurs canadiennes.”
Le gouvernement fédéral a maintenu des objectifs d’immigration ambitieux, prévoyant d’accueillir 500 000 résidents permanents annuellement d’ici 2025 malgré le malaise public croissant. Le ministre de l’Immigration Marc Miller a reconnu les défis mais a défendu cette politique, notant que l’avenir économique du Canada dépend de la croissance démographique.
L’abordabilité du logement est devenue inextricablement liée au débat sur l’immigration. Avec des prix moyens des logements dans les grands centres urbains qui restent hors de portée pour de nombreux Canadiens et des marchés locatifs connaissant une inflation à deux chiffres, la croissance démographique est devenue un point sensible dans les discussions politiques.
“Nous assistons à une tension fondamentale entre les impératifs économiques et l’infrastructure sociale,” affirme Dr. Jordan Williams, économiste au Centre canadien de politiques alternatives. “Le Canada a besoin d’immigration pour soutenir sa population vieillissante et son marché du travail, mais n’a pas investi adéquatement dans le logement, les soins de santé et les transports pour soutenir cette croissance. Les résultats du sondage reflètent cette tension croissante.”
Ces résultats présentent un défi complexe pour les décideurs politiques qui doivent équilibrer les besoins économiques avec la cohésion sociale. Bien que le Canada continue de figurer parmi les nations les plus accueillantes pour les immigrants dans les comparaisons internationales, l’évolution du sentiment public suggère un point d’inflexion potentiel dans la conversation nationale sur l’immigration.
Alors que les débats s’intensifient autour des objectifs de croissance durable, la question fondamentale demeure : le Canada peut-il développer l’infrastructure nécessaire et les programmes d’intégration pour correspondre à ses ambitions en matière d’immigration, ou les préoccupations publiques croissantes forceront-elles un recalibrage de l’approche nationale de la croissance démographique?