Malgré les signes de ralentissement du taux d’inflation global au Canada, des millions de Canadiens continuent de ressentir la pression aux caisses des épiceries, les prix des aliments demeurant obstinément élevés partout au pays. Le décalage entre les indicateurs économiques officiels et la réalité quotidienne est devenu une source de frustration croissante pour les ménages qui peinent à maintenir leur niveau de vie.
“Je dépense près de 300 $ de plus chaque mois en épicerie par rapport à il y a deux ans,” témoigne Meredith Johnson, mère de trois enfants de Mississauga. “Le gouvernement nous répète que l’inflation est sous contrôle, mais mes factures d’épicerie racontent une tout autre histoire.”
Les données récentes de Statistique Canada montrent que, bien que le taux d’inflation global ait diminué à 2,7 % par rapport au pic de plus de 8 % l’an dernier, l’inflation alimentaire continue de dépasser le taux global. Les prix des produits d’épicerie ont augmenté de 4,3 % sur un an, certains produits de base connaissant des hausses encore plus importantes. Les prix des produits frais ont bondi de 6,1 %, les produits laitiers de 5,2 % et les prix de la viande de 4,7 % par rapport à la même période l’année dernière.
Ces augmentations reflètent un réseau complexe de facteurs affectant le système alimentaire canadien. Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire d’analyse agroalimentaire de l’Université Dalhousie, souligne plusieurs éléments contributifs. “Nous observons les effets persistants des perturbations de la chaîne d’approvisionnement, des pénuries de main-d’œuvre dans la production et la distribution alimentaires, et l’impact continu des changements climatiques sur les rendements agricoles,” explique Charlebois. “De plus, la nature consolidée du secteur de l’épicerie au Canada soulève des questions quant à savoir si la concurrence est suffisante pour maintenir les prix à un niveau raisonnable.”
La persistance des prix élevés des aliments a attiré l’attention du gouvernement fédéral. Le mois dernier, le ministre de l’Innovation, François-Philippe Champagne, a annoncé des pouvoirs élargis pour le Bureau de la concurrence afin d’enquêter sur les pratiques de tarification dans le secteur de l’épicerie. Le gouvernement a également introduit des mesures obligeant les grandes chaînes d’épicerie à s’engager dans des programmes de stabilisation des prix, bien que les critiques soutiennent que ces initiatives manquent de mécanismes d’application significatifs.
“L’approche du gouvernement n’est guère plus qu’un écran de fumée,” affirme Jim Stanford, économiste et directeur du Centre for Future Work. “Sans intervention réglementaire substantielle ou changements significatifs aux systèmes de production et de distribution alimentaires du Canada, les consommateurs continueront à supporter le poids de ces coûts croissants.”
Pour de nombreuses familles canadiennes, l’impact de la hausse des prix alimentaires va au-delà des contraintes financières. Banques alimentaires Canada signale une augmentation de 35 % de l’utilisation des banques alimentaires depuis 2021, les nouveaux utilisateurs représentant près de la moitié de toutes les visites. “Nous voyons des familles de classe moyenne se tourner vers les banques alimentaires pour la première fois de leur vie,” note Kirstin Beardsley, PDG de Banques alimentaires Canada. “Cela reflète une tendance inquiétante où des Canadiens qui travaillent ne peuvent tout simplement pas étirer leur paie pour couvrir les nécessités de base.”
Les récentes décisions de la Banque du Canada en matière de taux d’intérêt reflètent l’équilibre délicat entre le contrôle de l’inflation et l’évitement des difficultés économiques. Bien que la banque centrale ait signalé qu’elle pourrait continuer à réduire les taux si l’inflation continue de se modérer, l’élévation persistante des prix des aliments demeure une préoccupation importante pour les décideurs monétaires.
Alors que les Canadiens se préparent aux prochaines élections fédérales, l’abordabilité est devenue un enjeu central de campagne. Les partis politiques de tous bords proposent diverses solutions, allant de lois sur la concurrence renforcées à des remises d’épicerie élargies pour les ménages à faible revenu. L’efficacité de ces propositions reste à voir, mais leur importance souligne la pertinence politique de l’inflation alimentaire.
Alors que nous naviguons dans ce paysage économique difficile, les Canadiens se demandent: notre système alimentaire évoluera-t-il pour offrir à la fois abordabilité et durabilité, ou les factures d’épicerie constamment plus élevées deviennent-elles notre nouvelle normalité? La réponse pourrait façonner de manière significative tant les budgets des ménages que les fortunes politiques dans les mois à venir.