Le gouvernement canadien se trouve face à un exercice d’équilibre financier complexe alors qu’il envisage de mettre en œuvre l’augmentation promise de 20 % de la solde militaire par une combinaison de hausses salariales directes et de primes de maintien en service ciblées, selon de hauts responsables de la défense qui se sont exprimés sous couvert d’anonymat.
Dans un contexte de pénuries critiques de personnel et de défis croissants en matière de recrutement, le ministre de la Défense, Bill Blair, a confirmé jeudi que le gouvernement fédéral reste déterminé à tenir sa promesse d’améliorer la rémunération militaire. Toutefois, la mise en œuvre pourrait être différente de ce qui était initialement prévu.
« Nous reconnaissons le sacrifice extraordinaire et l’engagement que notre personnel des forces armées démontre chaque jour », a déclaré Blair lors d’une conférence de presse à Ottawa. « Ce gouvernement honorera son engagement à garantir qu’ils soient équitablement rémunérés, bien que nous devions être stratégiques dans la façon dont nous structurons ces augmentations. »
Les Forces armées canadiennes font actuellement face à une pénurie d’environ 16 000 membres, avec des chiffres de recrutement constamment inférieurs aux objectifs au cours des trois dernières années. Les responsables militaires ont régulièrement cité une rémunération inadéquate comme facteur principal des difficultés de rétention et des déficits de recrutement.
La lieutenante-générale Jennie Carignan, chef du personnel militaire, a souligné des tendances préoccupantes dans les domaines spécialisés. « Nous observons des lacunes particulièrement inquiétantes dans les rôles techniques, les opérations cybernétiques et les services médicaux, où la rémunération du secteur privé dépasse largement la solde militaire », a noté Carignan lors d’un récent point de presse.
L’approche hybride proposée comprendrait une augmentation générale du salaire de base d’environ 10 à 12 %, le reste étant alloué à des primes de maintien en service ciblées pour les spécialités très demandées et les rôles opérationnels critiques. Cette stratégie vise à remédier aux pénuries immédiates de personnel tout en maintenant une responsabilité fiscale.
Des analystes financiers suggèrent que le coût total du programme de rémunération pourrait atteindre 1,4 milliard de dollars annuellement, soulevant des questions sur les délais de mise en œuvre. Le ministère de la Défense nationale avait initialement prévu une mise en œuvre complète d’ici avril 2025, mais les responsables du Conseil du Trésor indiquent maintenant qu’une approche progressive pourrait s’étendre jusqu’en 2026.
« La structure de rémunération militaire est extraordinairement complexe », a expliqué Dr Andrea Charron, directrice du Centre d’études sur la défense et la sécurité de l’Université du Manitoba. « Contrairement aux augmentations de salaire des civils, les ajustements militaires doivent tenir compte des différentiels de grade, des soldes de spécialité, des considérations de déploiement et des allocations de logement. Il ne s’agit pas simplement d’augmenter les salaires de base. »
Les défis de rémunération des militaires canadiens ne sont pas uniques. Des alliés de l’OTAN, dont le Royaume-Uni et l’Australie, ont récemment mis en œuvre des approches hybrides similaires pour la rémunération militaire, combinant des augmentations générales avec des incitatifs ciblés pour les postes critiques.
Les critiques de l’opposition ont exprimé des inquiétudes quant à la modification potentielle de l’augmentation promise. James Bezan, critique conservateur en matière de défense, a qualifié toute déviation d’une augmentation directe de 20 % comme « une promesse non tenue envers ceux qui servent notre pays », tout en soulignant le besoin urgent d’une rémunération compétitive pour résoudre la crise de personnel des FAC.
Les défenseurs des familles militaires ont également pesé dans le débat. « Bien que toute augmentation soit bienvenue, ce dont les familles militaires ont vraiment besoin, c’est de prévisibilité et d’adéquation », a déclaré Julie Lalonde du Centre de ressources pour les familles militaires. « Les coûts de logement près des bases ont monté en flèche, et de nombreuses familles militaires ont du mal à joindre les deux bouts, même avec deux revenus. »
La décision du gouvernement intervient à un moment crucial pour la posture militaire du Canada, alors que les engagements internationaux en Europe de l’Est, dans l’Indo-Pacifique et dans l’Arctique nécessitent une force pleinement dotée et opérationnelle. Les experts en politique de défense suggèrent que la résolution de la crise du personnel est fondamentale pour que le Canada puisse respecter ses obligations en matière de sécurité.
Alors que ce programme de rémunération prend forme, la question demeure : une approche hybride d’augmentations salariales et de primes ciblées sera-t-elle suffisante pour endiguer l’exode de personnel qualifié du service militaire, ou le Canada devra-t-il reconsidérer des aspects plus fondamentaux de la vie militaire pour rester compétitif dans l’environnement de recrutement difficile d’aujourd’hui?