À l’ombre de la crise du logement qui s’intensifie au Canada, des propriétés fédérales d’une valeur de plusieurs milliards de dollars demeurent vacantes et se détériorent, tandis que des milliers de Canadiens peinent à trouver des logements abordables. Un nouveau rapport accablant de la vérificatrice générale Karen Hogan révèle un décalage inquiétant entre les priorités gouvernementales en matière de logement et la gestion des biens immobiliers fédéraux inutilisés.
“Ces bâtiments représentent une occasion manquée importante,” a déclaré Hogan lors d’une conférence de presse à Ottawa hier. “À une époque où les logements abordables sont de plus en plus rares dans les communautés canadiennes, ces propriétés pourraient servir aux Canadiens plutôt que de rester vides et coûter des millions en frais d’entretien aux contribuables.”
L’audit a examiné plus de 8 500 propriétés gérées par Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) et a constaté qu’environ 2 800 bâtiments – soit environ un tiers du portefeuille – sont actuellement inoccupés. Plus alarmant encore, plusieurs d’entre eux sont restés vacants pendant plus d’une décennie, avec des coûts d’entretien dépassant 25 millions de dollars par année.
Les défenseurs du logement soutiennent depuis longtemps que ces propriétés représentent une ressource cruciale inexploitée. Sarah Richardson, directrice générale de Logement d’abord Canada, a qualifié les conclusions de “profondément frustrantes mais pas surprenantes.”
“Nous signalons ces bâtiments depuis des années comme solutions potentielles,” a déclaré Richardson à CO24 Nouvelles. “La conversion de seulement 20 % de ces propriétés pourrait créer des milliers de logements abordables dans des communautés où ils sont désespérément nécessaires.”
Le rapport souligne plusieurs cas préoccupants, notamment un ancien immeuble de bureaux gouvernemental au centre-ville de Toronto qui est resté vide pendant 15 ans malgré sa situation dans l’un des marchés immobiliers les plus coûteux du Canada. À Vancouver, trois propriétés fédérales situées près des axes de transport en commun sont restées vacantes depuis 2018, accumulant plus de 3,2 millions de dollars en frais de sécurité et d’entretien.
Le ministre du Logement Sean Fraser a reconnu les conclusions du rapport, les qualifiant de “signal d’alarme” pour une meilleure coordination entre les ministères. “Nous devons briser les cloisons entre notre stratégie de logement et la gestion des propriétés fédérales,” a déclaré Fraser lors d’un point de presse de Nouvelles Canada. “J’ai demandé à mon ministère de travailler étroitement avec SPAC pour identifier les propriétés adaptées à une conversion en logements selon un calendrier accéléré.”
L’audit révèle des problèmes systémiques dans la façon dont le gouvernement suit et gère son portefeuille immobilier. Selon Hogan, la base de données actuelle des propriétés est désuète, avec des informations incohérentes sur l’état des bâtiments, les utilisations potentielles, et même des emplacements précis dans certains cas.
Les analystes financiers estiment que la valeur totale de ces propriétés vacantes dépasse 4,7 milliards de dollars, représentant à la fois un actif important et un passif dans le bilan du gouvernement. Le bureau d’affaires de CO24 rapporte que des promoteurs privés ont manifesté leur intérêt pour des partenariats public-privé afin de convertir ces propriétés, mais les obstacles bureaucratiques ont ralenti les progrès.
Les critiques de l’opposition n’ont pas tardé à réagir au rapport. Le critique conservateur en matière de logement Scott Aitchison l’a qualifié de “condamnation accablante de l’incompétence gouvernementale,” tandis que la critique néo-démocrate Jenny Kwan l’a décrit comme “une preuve supplémentaire que la stratégie de logement du gouvernement existe davantage sur papier qu’en pratique.”
Le rapport survient alors que le Canada fait face à sa crise d’accessibilité au logement la plus grave depuis des décennies. Des données récentes de la Société canadienne d’hypothèques et de logement montrent des taux d’inoccupation inférieurs à 2 % dans les grands centres urbains, avec des loyers moyens augmentant de plus de 8 % à l’échelle nationale au cours de la dernière année.
Les experts en urbanisme suggèrent que les bâtiments fédéraux sont particulièrement bien adaptés à une conversion en logements en raison de leur emplacement typique près des transports en commun et des infrastructures existantes. Dr. Patricia Streich, professeure d’urbanisme à l’Université de Toronto, note que “beaucoup de ces bâtiments se trouvent exactement aux endroits où nous devrions intensifier le logement – près des transports en commun, des services et des opportunités d’emploi.”
Alors que le Canada est aux prises avec des pénuries de logements qui touchent presque toutes les communautés, des grands centres urbains aux petites villes, la question demeure : combien de temps encore pouvons-nous nous permettre de laisser des biens publics précieux rester vides pendant que les Canadiens luttent pour trouver des logements qu’ils peuvent se permettre?