Dans une démarche sans précédent qui souligne les tensions croissantes concernant les politiques d’identité de genre, Affaires mondiales Canada a émis un avis aux voyageurs canadiens possédant des passeports non genrés qui se rendent aux États-Unis. L’avis, publié mercredi, survient alors que les inquiétudes grandissent quant à la reconnaissance par les autorités frontalières américaines du marqueur de genre “X” désormais disponible sur les passeports canadiens.
“Nous observons un pattern troublant d’incohérence aux postes frontaliers américains,” a déclaré la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, dans un communiqué obtenu par CO24. “Notre gouvernement s’engage à protéger les droits et la dignité de tous les Canadiens à l’étranger, peu importe comment ils s’identifient.”
L’avis prévient spécifiquement les Canadiens avec le marqueur de genre “X” qu’ils “pourraient faire face à un examen supplémentaire” et à des complications potentielles lors de tentatives d’entrée aux États-Unis. C’est la première fois que le Canada émet des conseils de voyage abordant spécifiquement les préoccupations liées aux documents d’identité de genre pour un allié majeur.
Depuis 2017, le Canada propose “X” comme alternative à “M” ou “F” sur les passeports et autres documents fédéraux, permettant aux citoyens qui ne s’identifient pas exclusivement comme homme ou femme d’avoir une pièce d’identité qui reflète mieux leur identité de genre. Selon les données de Canada News, environ 5 700 Canadiens détiennent maintenant des passeports avec la désignation “X”.
Le Département d’État américain a commencé à offrir des options similaires de passeports non genrés en avril 2022, mais la mise en œuvre à travers les différentes agences fédérales a été incohérente. Les agents frontaliers, qui opèrent selon les protocoles du Département de la Sécurité intérieure, auraient appliqué des normes variables lors du traitement des voyageurs avec des documents non binaires.
“Il ne s’agit pas de politique—il s’agit d’assurer un traitement prévisible et respectueux pour tous les citoyens canadiens,” a déclaré Helen Kennedy, directrice générale d’Egale Canada, une organisation nationale de défense des droits LGBTQ2+. “Lorsque des documents sont légalement émis par le gouvernement canadien, nous nous attendons à ce que notre voisin et partenaire commercial le plus proche les respecte.”
L’avis recommande aux voyageurs concernés d’envisager de transporter des pièces d’identité supplémentaires et de se préparer à d’éventuels retards. Il établit également une adresse courriel dédiée pour que les Canadiens puissent signaler les difficultés rencontrées aux postes frontaliers américains liées aux marqueurs de genre sur les documents de voyage.
La Douane et la Protection des frontières américaines a répondu par une brève déclaration, indiquant que l’agence “s’engage à traiter tous les voyageurs avec respect et dignité,” tout en notant que “les protocoles de sécurité exigent la vérification de tous les documents des voyageurs, quelle que soit leur identité de genre.”
La situation met en évidence une divergence croissante des politiques entre les deux nations sur les questions d’identité de genre. Alors que le Canada a progressé vers une plus grande reconnaissance juridique des identités non binaires dans les systèmes fédéraux et provinciaux, l’approche américaine varie considérablement selon l’État et le département fédéral, créant une mosaïque complexe de reconnaissance.
“Cet avis reflète la réalité que même entre des alliés proches, des différences significatives dans les politiques sociales peuvent créer des défis pratiques pour les citoyens,” a expliqué Dr. Miranda Robinson, professeure de relations internationales à l’Université de Toronto. “Ce qui est intéressant ici, c’est que le Canada reconnaît effectivement que les politiques progressistes au pays ne se traduisent pas automatiquement par des expériences sans heurts à l’étranger.”
Le gouvernement canadien a souligné que l’avis n’a pas pour but de décourager les voyages, mais plutôt d’assurer que les Canadiens puissent prendre des décisions éclairées. Des responsables des deux pays seraient en discussion pour établir des protocoles plus clairs concernant le traitement des documents non genrés aux postes frontaliers.
Alors que de plus en plus de pays à travers le monde adoptent des options de troisième genre sur les documents officiels, ces frictions frontalières entre le Canada et les États-Unis serviront-elles d’étude de cas sur la façon dont les systèmes de voyage internationaux s’adaptent aux conceptions évolutives de l’identité de genre?