Un exode inquiétant est en train de remodeler discrètement le paysage économique du Canada, alors que de plus en plus de Canadiens fortunés choisissent de faire leurs valises et de chercher des opportunités ailleurs. Les données récentes révèlent que les personnes à valeur nette élevée partent à des taux jamais vus depuis des décennies, soulevant de sérieuses questions sur les politiques fiscales du pays, le climat économique et la prospérité à long terme.
L’Agence du revenu du Canada a signalé une augmentation de 22 % des renonciations à la citoyenneté au cours des trois dernières années, les motivations financières étant citées comme le principal facteur. Michael Thompson, conseiller en gestion de patrimoine basé à Toronto, note que ce n’est pas une coïncidence. “Nous observons des professionnels et des propriétaires d’entreprises qui ont bâti leur succès au Canada et qui concluent que l’équation financière n’a plus de sens,” a déclaré Thompson à CO24 Business.
Les facteurs qui motivent cette tendance migratoire vont au-delà de la simple évasion fiscale. Une enquête approfondie de l’Institut Fraser a révélé que 68 % des Canadiens à revenu élevé qui partent ont cité les taux d’imposition marginaux combinés fédéraux-provinciaux du Canada — qui peuvent dépasser 53 % dans des provinces comme l’Ontario et le Québec — comme une motivation importante. Cela place le Canada parmi les juridictions les plus taxées du monde développé.
“Quand des entrepreneurs qui ont créé des emplois et de la richesse ici pendant des décennies déménagent soudainement vers des juridictions avec des environnements fiscaux plus compétitifs, nous devons nous poser de sérieuses questions sur notre approche politique,” explique l’économiste Patricia Walden de l’Université de Toronto. “Ces départs représentent non seulement des recettes fiscales perdues aujourd’hui, mais aussi des investissements futurs, une croissance des entreprises et des contributions philanthropiques qui profiteront désormais à d’autres économies.”
Le phénomène est particulièrement prononcé dans les secteurs à forte intensité de connaissances comme la technologie et la finance. La Silicon Valley et les centres financiers comme Singapour sont devenus des destinations populaires, offrant non seulement des charges fiscales moins élevées, mais aussi des environnements réglementaires perçus comme plus favorables aux entreprises. Ce modèle reflète des sorties similaires observées dans des pays européens qui ont mis en œuvre des impôts sur la fortune, où la fuite des capitaux a souvent dépassé les gains de revenus.
Ce qui rend la tendance actuelle particulièrement préoccupante pour l’économie canadienne est le profil de ceux qui partent. Contrairement aux vagues d’émigration précédentes, les partants d’aujourd’hui sont principalement des professionnels établis, des propriétaires d’entreprises et des investisseurs dans leurs années les plus productives — précisément la démographie qui stimule la croissance économique, crée des emplois et finance les services publics par leurs contributions fiscales.
Le bureau de la ministre des Finances Chrystia Freeland a refusé de commenter spécifiquement les données sur l’émigration, mais a indiqué que le gouvernement “continue de surveiller la compétitivité fiscale tout en assurant l’équité du système.” Les critiques de l’opposition soutiennent que cette réponse sous-estime la gravité du problème.
Au-delà des considérations fiscales, les Canadiens qui partent citent la complexité réglementaire, l’abordabilité du logement dans les grands centres urbains et les préoccupations concernant l’orientation fiscale future comme facteurs de motivation. Jordan Williams, qui a délocalisé son entreprise technologique de Vancouver à Austin l’année dernière, a expliqué : “Il ne s’agissait pas seulement des taux d’imposition actuels, mais de l’incertitude quant à l’orientation de la politique. Lorsqu’on planifie une entreprise pour le long terme, la prévisibilité compte autant que les chiffres réels.”
L’impact de cette migration de richesse s’étend au-delà des bilans gouvernementaux. Les organisations philanthropiques signalent des baisses notables des dons majeurs, tandis que le financement de capital-risque — crucial pour la croissance des startups — a vu les sources canadiennes diminuer par rapport aux investisseurs étrangers.
Certains experts en politique économique suggèrent que des réformes ciblées pourraient endiguer la marée sans abandonner les principes de fiscalité progressive. “Des pays comme la Nouvelle-Zélande et l’Australie ont réussi à maintenir des filets de sécurité sociale tout en mettant en œuvre des approches plus compétitives pour les revenus entrepreneuriaux et d’investissement,” note Richard Samuels, professeur d’économie à l’Université McGill. “Ce n’est pas une proposition de l’un ou l’autre.”
Pour la politique canadienne, le défi présente un délicat exercice d’équilibre entre la lutte contre les inégalités et le maintien de la compétitivité dans un marché mondial où le capital et les talents sont de plus en plus mobiles. Les preuves historiques suggèrent qu’une fois établis, les modèles d’émigration peuvent s’accélérer à mesure que des réseaux professionnels et sociaux se forment dans les pays de destination.
Alors que le Canada navigue dans la reprise économique post-pandémique et les changements dans les modèles commerciaux mondiaux, la question devient de plus en plus urgente : pouvons-nous créer un environnement qui maintient nos citoyens les plus productifs engagés dans la construction de l’avenir du Canada plutôt que de le chercher ailleurs?