Suite à une rencontre décisive qui pourrait transformer le paysage des véhicules électriques au Canada, les leaders de l’industrie automobile affichent un optimisme prudent après leurs discussions avec Mark Carney, coprésident de l’Organisme consultatif pour la carboneutralité du gouvernement fédéral. Ces pourparlers, tenus dans un contexte de pression croissante de l’industrie, ont porté sur d’éventuels ajustements au mandat ambitieux de ventes de véhicules électriques qui a généré des tensions importantes entre les fabricants et les décideurs politiques.
“Nous avons eu un échange productif avec M. Carney concernant les défis pratiques liés à l’atteinte de ces objectifs,” a déclaré Brian Kingston, président de l’Association canadienne des constructeurs de véhicules, lors d’une entrevue exclusive. “Bien que nous soutenions la transition vers les véhicules zéro émission, le calendrier actuel crée des obstacles substantiels tant pour les fabricants que pour les consommateurs, qu’on ne peut ignorer.”
Le mandat fédéral, pierre angulaire de la stratégie climatique du Canada, exige que les constructeurs automobiles s’assurent que 20 % de leurs nouvelles ventes de véhicules soient à zéro émission d’ici 2026, passant à 60 % d’ici 2030 pour atteindre 100 % d’ici 2035. Ces objectifs font face à une résistance croissante des parties prenantes de l’industrie qui soutiennent que cette approche ne tient pas compte des réalités du marché et de la préparation des consommateurs.
Kingston a souligné que l’industrie ne cherche pas à abandonner les objectifs environnementaux, mais plutôt à mettre en œuvre un cadre plus réaliste. “Nous avons présenté des données concrètes montrant l’écart entre les ambitions politiques et les conditions du marché,” a-t-il noté. “Le taux d’adoption actuel des VÉ se situe à environ 10 % des ventes de nouveaux véhicules, ce qui souligne l’accélération significative nécessaire pour atteindre l’objectif de 2026.”
La rencontre fait suite à des mois de dialogue intensif entre les constructeurs automobiles et le gouvernement fédéral. En novembre dernier, des grands fabricants dont General Motors, Stellantis et Ford ont publié une déclaration commune avertissant que le mandat rigide pourrait entraîner des pénuries de véhicules et des répercussions économiques pour le secteur automobile canadien.
Les analystes de l’industrie soulignent plusieurs obstacles critiques entravant une adoption plus rapide des VÉ, notamment les lacunes dans l’infrastructure de recharge, les contraintes d’approvisionnement en minéraux pour batteries, et les préoccupations persistantes des consommateurs concernant l’autonomie et l’abordabilité. Une récente enquête de J.D. Power a révélé que les prix élevés et l’anxiété liée à la recharge demeurent les principaux freins pour les acheteurs potentiels de VÉ partout en Amérique du Nord.
Tim Reuss, président de la Corporation des associations de détaillants d’automobiles, qui a également participé aux discussions, a mis en lumière la perspective des concessionnaires. “Nos membres sont en première ligne de cette transition, et ils signalent d’importants défis d’inventaire. Les clients veulent des véhicules électriques, mais les prix élevés et les préoccupations liées à l’infrastructure créent une hésitation qu’on ne peut pas éliminer par la législation.”
Le gouvernement fédéral maintient que ces objectifs sont nécessaires pour respecter les engagements climatiques du Canada et positionner stratégiquement l’industrie automobile du pays dans un marché mondial en rapide évolution. Le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, a précédemment indiqué que le mandat comprend des mécanismes de flexibilité pour répondre aux préoccupations de l’industrie, bien que les détails restent en discussion.
Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada avec une influence significative dans les cercles de politique climatique, aurait reconnu les préoccupations de l’industrie tout en réitérant l’importance de maintenir des objectifs ambitieux. Des sources proches des discussions ont indiqué que les ajustements potentiels pourraient inclure des objectifs intermédiaires modifiés ou des programmes d’incitation améliorés plutôt que des changements radicaux à l’échéance de 2035.
Les enjeux s’étendent au-delà de la politique environnementale pour toucher la stratégie économique. Le secteur automobile canadien emploie environ 500 000 travailleurs et contribue à plus de 12 milliards de dollars annuellement à l’économie nationale. Les représentants de l’industrie soutiennent qu’un mandat trop agressif pourrait pousser la production vers des juridictions aux politiques plus flexibles, particulièrement compte tenu de la nature intégrée du marché automobile nord-américain.
Alors que les négociations se poursuivent, les deux parties semblent reconnaître la nécessité d’un compromis. “Nous ne remettons pas en question la destination,” a précisé Kingston. “Nous discutons du chemin le plus efficace et le moins perturbateur pour y arriver.”
La question qui se pose maintenant aux décideurs politiques et aux leaders de l’industrie est de savoir si le Canada peut trouver le délicat équilibre entre ambition environnementale et pragmatisme économique dans son approche de la transition vers les véhicules électriques. Pouvons-nous accélérer vers un avenir à zéro émission sans laisser les consommateurs et les fabricants en plan en cours de route?