Les résidents de plusieurs quartiers entourant l’aéroport international de St-Jean font face à une crise sanitaire croissante, alors que des preuves s’accumulent indiquant que leurs approvisionnements en eau souterraine ont été contaminés par des produits chimiques potentiellement nocifs provenant de mousses anti-incendie. Cette découverte laisse de nombreuses familles se demander si l’eau qu’elles utilisent depuis des années les empoisonne lentement.
“C’est effrayant d’y penser,” confie Marie Kenney, qui habite dans sa maison juste au sud de l’aéroport depuis plus de vingt ans. “Nous avons bu cette eau, nous nous sommes baignés dedans, nous avons arrosé nos jardins avec. Maintenant on nous dit qu’elle pourrait ne pas être sécuritaire.”
La contamination provient de la mousse filmogène aqueuse (AFFF), une substance couramment utilisée dans les aéroports et les bases militaires pour les entraînements de lutte contre les incendies et les interventions d’urgence. Ces mousses contiennent des substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) – parfois appelées “produits chimiques éternels” parce qu’elles ne se dégradent pas naturellement dans l’environnement.
Des tests menés par Environnement Canada ont révélé des niveaux de PFAS dans certains puits résidentiels près de l’aéroport qui dépassent les directives de Santé Canada de plus de 15 fois la limite acceptable. Ces produits chimiques ont été associés à divers problèmes de santé, notamment l’augmentation du taux de cholestérol, des changements dans les enzymes hépatiques, une diminution de la réponse vaccinale chez les enfants et un risque accru de certains cancers.
L’Administration aéroportuaire de St-Jean a reconnu le problème, déclarant qu’elle travaille avec des consultants environnementaux depuis début 2024 pour évaluer l’étendue de la contamination. “Nous prenons cette question très au sérieux et nous nous engageons à répondre aux préoccupations de nos voisins,” a déclaré le porte-parole de l’Administration aéroportuaire, Jacques Tremblay, dans une déclaration écrite.
Cependant, de nombreux résidents estiment que la réponse a été inadéquate. Les réunions communautaires sont devenues de plus en plus tendues, les familles exigeant des solutions immédiates plutôt que des études continues.
“Ils continuent de nous dire qu’ils enquêtent, mais pendant ce temps, nous sommes toujours exposés,” explique Robert Pelletier, qui a organisé un groupe d’action communautaire après avoir appris que l’eau du puits de sa famille contenait des niveaux élevés de PFAS. “Nous avons besoin d’eau propre maintenant, pas après des années d’études et de rapports.”
Le ministère de l’Environnement de Terre-Neuve-et-Labrador est intervenu, fournissant de l’eau embouteillée aux ménages touchés pendant qu’une solution permanente est élaborée. Les responsables provinciaux ont indiqué qu’ils exploraient des options pour raccorder les maisons touchées aux réseaux d’eau municipaux, bien que le calendrier et le financement d’une telle infrastructure restent flous.
Les experts environnementaux notent qu’il ne s’agit pas d’un incident isolé. Des contaminations similaires ont été documentées près des aéroports et des bases militaires à travers le Canada et à l’international. La lenteur de la réponse réglementaire aux PFAS a été critiquée par les défenseurs de l’environnement qui soulignent que d’autres pays ont agi plus énergiquement pour interdire ces produits chimiques et assainir les sites contaminés.
Dr Élisabeth Simard, toxicologue environnementale à l’Université Memorial, explique que la nature persistante de ces produits chimiques rend le nettoyage particulièrement difficile. “Une fois que les PFAS pénètrent dans les eaux souterraines, ils peuvent migrer sur des distances considérables et rester pendant des décennies, voire des siècles. Ce n’est pas un problème qui se dilue simplement avec le temps.”
Pour les résidents touchés, la contamination représente à la fois une crise sanitaire et financière. Les valeurs immobilières dans la région ont déjà commencé à baisser alors que la nouvelle de la contamination se répand, laissant de nombreux propriétaires se sentir piégés.
“Nous avons tout mis dans cette maison,” dit Kenney, en faisant un geste autour de sa cuisine. “Maintenant nous ne pouvons pas utiliser notre eau en toute sécurité, et nous ne pourrions probablement pas vendre même si nous le voulions. Qui achèterait une maison avec de l’eau contaminée?”
Alors que cette situation continue de se développer, une question plus large se pose pour les communautés à travers le Canada : combien d’autres quartiers pourraient faire face à une contamination similaire, mais non encore découverte, résultant de décennies d’utilisation de produits chimiques industriels? Et nos systèmes réglementaires évolueront-ils assez rapidement pour protéger les gens avant que les dommages ne soient faits?