Dans les services d’urgence à travers le Canada, les patients attendent des heures, parfois des jours, pour recevoir des soins, tandis que des professionnels de la santé épuisés luttent pendant des quarts de travail en sous-effectif. Cette situation, autrefois considérée comme extraordinaire, est devenue tristement banale dans ce que les experts décrivent ouvertement comme un système en effondrement. Le système de santé canadien, longtemps une source de fierté nationale, fait face à des défis sans précédent qui ont suscité des appels croissants à une restructuration fondamentale plutôt qu’à des ajustements progressifs.
“Nous sommes bien au-delà du stade des ajustements mineurs,” affirme Dre Kathleen Morris, vice-présidente de la recherche à l’Institut canadien d’information sur la santé. “La pandémie a exposé des faiblesses critiques, mais ces problèmes se développent depuis des décennies. Nous constatons l’effet cumulatif d’une vision à court terme.”
Des données récentes de CO24 News révèlent des statistiques inquiétantes : près de 6,5 millions de Canadiens n’ont pas de médecin de famille, les temps d’attente aux urgences ont augmenté de 37 % depuis 2019, et les taux d’épuisement professionnel ont atteint 63 % parmi le personnel de première ligne. La crise transcende les frontières provinciales, touchant autant les communautés rurales que les grands centres urbains.
Les ministres provinciaux de la Santé se sont réunis à Ottawa le mois dernier pour discuter de solutions potentielles, avec le ministre fédéral de la Santé Jean-Yves Duclos proposant une stratégie nationale de ressources humaines en santé soutenue par un financement ciblé de 3,2 milliards de dollars. Cependant, les dirigeants provinciaux estiment que cette proposition ne répond pas aux problèmes systémiques.
“Le défi fondamental est que notre système a été conçu pour une autre époque,” explique Dre Danielle Martin, médecin de famille et experte en politique de santé. “Nous avons construit un modèle centré sur l’hôpital et axé sur les médecins dans les années 1960 qui ne correspond plus aux réalités démographiques actuelles, aux possibilités technologiques ou aux attentes des patients.”
Le vieillissement de la population représente l’une des pressions les plus importantes. Les Canadiens de plus de 65 ans représentent maintenant près de 19 % de la population mais utilisent environ 45 % des services de santé. D’ici 2036, les aînés représenteront près de 25 % de tous les Canadiens, créant une demande que le système actuel ne peut soutenir.
Les économistes de la santé pointent également les inefficacités structurelles comme facteur critique. “Nous avons créé des silos qui empêchent l’intégration et la coordination,” déclare Michael Decter, ancien sous-ministre de la Santé de l’Ontario. “Les soins primaires, les hôpitaux, les soins à domicile et les soins de longue durée fonctionnent comme des systèmes séparés, créant des lacunes dans lesquelles les patients tombent et des duplications inutiles.”
Les communautés autochtones continuent de faire face à des défis particulièrement graves en matière de soins de santé. “Les peuples des Premières Nations, Inuits et Métis sont confrontés à des obstacles systémiques pour accéder à des soins culturellement appropriés,” note Dre Janet Smylie, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en santé autochtone. “Toute reconstruction du système doit aborder ces inégalités directement et inclure de façon significative le leadership autochtone.”
Les recherches d’opinion publique de l’Institut Angus Reid indiquent une frustration croissante, avec 74 % des Canadiens considérant maintenant les soins de santé comme le problème le plus important du pays—devant l’économie, le logement et le changement climatique. Plus significativement, 68 % croient que des “réformes majeures” sont nécessaires, comparativement à seulement 42 % qui partageaient cette opinion en 2019.
Certaines provinces ont commencé à mettre en œuvre des réformes ambitieuses. Les réseaux de soins primaires de la Colombie-Britannique et le programme d’infirmières praticiennes spécialisées du Québec représentent des tentatives pour remédier aux pénuries de médecins. L’Alberta a élargi l’accès aux soins virtuels, tandis que la Nouvelle-Écosse a introduit des centres d’urgence collaboratifs dans les communautés rurales.
Les défenseurs des soins de santé et les experts en politiques soulignent que les véritables solutions doivent aller au-delà d’une simple injection d’argent dans le cadre existant. “Un financement supplémentaire sans changement structurel perpétuera les mêmes problèmes,” dit Colleen Flood, titulaire de la Chaire de recherche universitaire en droit et politique de la santé à l’Université d’Ottawa. “Nous devons reconsidérer comment les soins sont organisés, dispensés et évalués.”
Les solutions de santé numérique offrent des pistes prometteuses d’amélioration. Selon l’analyse de CO24 Business, les startups canadiennes en santé numérique ont attiré plus de 800 millions de dollars d’investissement l’année dernière, développant des innovations en soins virtuels, surveillance à distance et diagnostics assistés par intelligence artificielle.
Le consensus politique concernant la réforme des soins de santé reste insaisissable. La couverture de CO24 Politics met en évidence les désaccords partisans sur le rôle de la prestation privée au sein du système public, les dirigeants conservateurs soutenant généralement une plus grande implication du secteur privé tandis que les politiciens du NPD et des Libéraux insistent sur le renforcement des modèles de prestation publics.
Les comparaisons internationales fournissent à la fois des mises en garde et des modèles potentiels. Contrairement à des pays disposant de systèmes similairement universels comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, le Canada dépense significativement plus par habitant tout en obtenant de moins bons résultats dans plusieurs indicateurs clés, notamment les temps d’attente pour voir des spécialistes et la disponibilité des lits d’hôpitaux.
Alors que les gouvernements provinciaux et le leadership fédéral négocient la voie à suivre, les prestataires de soins de santé continuent de gérer les crises quotidiennes. “La discussion sur la refonte du système est essentielle,” dit Linda Silas, présidente de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers, “mais nous ne devons pas oublier qu’en ce moment, les travailleurs de la santé maintiennent à bout de bras un système qui s’effondre autour d’eux.”
Reste à voir si le Canada pourra rassembler la volonté politique et le consensus public nécessaires pour transformer son système de santé avant que la crise actuelle ne s’aggrave. Les Canadiens seront-ils prêts à accepter des changements substantiels pour préserver les principes de soins de santé universels, ou la résistance à la réforme menacera-t-elle finalement la pérennité de l’une des institutions les plus chéries de la nation?