Dans une initiative révolutionnaire qui pourrait transformer le paysage numérique canadien, la récente décision du CRTC concernant l’accès haute vitesse de gros a déclenché un vif débat dans tout le secteur des télécommunications. Cette décision, visant à favoriser la concurrence dans un marché longtemps dominé par une poignée d’acteurs majeurs, représente ce que de nombreux experts qualifient de changement réglementaire le plus important des services Internet canadiens depuis plus d’une décennie.
La décision oblige les grandes entreprises de télécommunications à fournir aux petits fournisseurs de services Internet (FSI) un accès à leurs réseaux à des tarifs de gros réglementés. Selon la présidente du CRTC, Vicky Eatrides, cette approche “établit l’équilibre nécessaire entre l’accès des Canadiens à des services Internet concurrentiels tout en maintenant des incitatifs pour l’investissement continu dans des réseaux de haute qualité.”
Au fond, cette intervention réglementaire répond à un déséquilibre fondamental du marché. Le Canada lutte depuis longtemps contre des prix Internet parmi les plus élevés des pays développés, l’OCDE classant systématiquement le service à large bande canadien parmi les plus coûteux au monde. Un ménage canadien moyen dépense environ 107 $ par mois pour les services Internet, soit environ 30 % de plus que des forfaits comparables dans de nombreux pays européens.
“Il ne s’agit pas simplement de prix plus bas,” explique l’analyste en télécommunications Jordan Richardson. “Il s’agit de créer un écosystème où l’innovation peut s’épanouir grâce à une concurrence significative.” Richardson cite en exemple des marchés comme le Royaume-Uni et la France, où des réglementations similaires d’accès de gros ont non seulement rendu les services plus abordables, mais ont également favorisé l’émergence de fournisseurs spécialisés desservant des segments mal desservis.
Les critiques, principalement des grandes entreprises de télécommunications, soutiennent que l’accès de gros obligatoire à des tarifs réglementés sape les incitatifs à l’investissement. Bell Canada a publiquement déclaré que la décision pourrait entraîner “une réduction des dépenses en immobilisations dans les communautés rurales et éloignées” où le retour sur investissement est déjà difficile. Rogers Communications a exprimé des préoccupations similaires concernant les impacts potentiels sur les calendriers de déploiement de la 5G.
Cependant, les preuves provenant de marchés internationaux comparables suggèrent que ces craintes pourraient être exagérées. Des pays avec des réglementations robustes d’accès de gros, comme la Suède et la Corée du Sud, continuent de dominer les classements mondiaux tant en qualité de réseau qu’en pénétration de la large bande. Leur expérience démontre que des régimes de gros correctement calibrés peuvent coexister avec des niveaux d’investissement sains.
La décision du CRTC arrive à un moment critique pour la politique numérique canadienne. Avec le télétravail devenant une caractéristique permanente de l’économie et les services numériques de plus en plus essentiels pour tout, de la santé à l’éducation, un Internet abordable et de haute qualité a dépassé le statut de luxe pour devenir une nécessité. Cette réalité rend les enjeux particulièrement importants.
Pour les petites communautés et les zones rurales, les implications pourraient être particulièrement significatives. Des fournisseurs régionaux comme TekSavvy et Distributel ont historiquement montré une plus grande volonté de desservir des marchés moins rentables lorsque les tarifs de gros rendent les modèles d’affaires viables. La décision ouvre potentiellement des voies pour que ces fournisseurs élargissent leur empreinte au-delà des centres urbains.
“Ce qui est souvent négligé dans ce débat, c’est le potentiel de services spécialisés,” note la chercheuse en économie numérique Dr. Aisha Patel. “Lorsque les petits fournisseurs peuvent concurrencer sur un pied plus égal, nous voyons des offres plus ciblées—des services conçus spécifiquement pour les aînés, des forfaits optimisés pour les joueurs, des plans adaptés aux petites entreprises. Le marché devient plus réactif aux besoins divers.”
Le CRTC a intégré des garanties dans son cadre, y compris des dispositions qui reconnaissent et récompensent l’investissement dans les infrastructures. Les grands transporteurs qui déploient la fibre jusqu’au domicile et d’autres technologies de nouvelle génération maintiennent un accès exclusif pendant des périodes spécifiées avant que les obligations de gros ne s’appliquent—un mécanisme conçu pour préserver les incitatifs à l’investissement tout en élargissant éventuellement la concurrence.
Au fur et à mesure de la mise en œuvre, la véritable mesure du succès sera de savoir si cette approche réglementaire livre les avantages promis : plus de choix, un meilleur service et des prix raisonnables pour les consommateurs canadiens. L’expérience d’autres juridictions suggère que l’obtention des bons détails—en particulier les tarifs de gros spécifiques et les exigences techniques—sera cruciale pour atteindre ces résultats.
Dans une économie numérique où la connectivité détermine de plus en plus les opportunités économiques, l’accès à l’éducation et l’inclusion sociale, le Canada peut-il se permettre de ne pas poursuivre des politiques qui rendent l’Internet de haute qualité accessible à tous les citoyens, indépendamment de leur niveau de revenu ou de leur emplacement géographique?