Avec le début des vacances d’été, un schéma préoccupant émerge dans les communautés canadiennes. Les banques alimentaires à travers le pays signalent une hausse significative de la demande alors que les familles qui comptaient sur les programmes de nutrition scolaire font face à une pression financière supplémentaire pour nourrir leurs enfants à la maison. Cette augmentation annuelle met en évidence une lacune persistante dans le filet de sécurité sociale du Canada qui laisse les familles vulnérables en difficulté pendant ce qui devrait être une saison insouciante.
“Nous le constatons chaque année comme une horloge—le dernier jour d’école sonne, et dès la semaine suivante, notre nombre de clients augmente de 20 à 30 pour cent,” explique Maria Donovan, directrice de la Banque alimentaire communautaire de l’Est de Toronto. “Pour de nombreuses familles, les programmes de déjeuner et dîner scolaires sont essentiels pour étirer le budget. Quand ils disparaissent pendant deux mois, les parents font soudainement face à des centaines de dollars de coûts d’épicerie supplémentaires.”
Ce phénomène révèle une dimension cachée de l’insécurité alimentaire au Canada, où environ 1,8 million de personnes ont eu recours aux banques alimentaires en 2023—un record selon Banques alimentaires Canada. L’afflux estival aggrave cette situation déjà critique, de nombreux établissements signalant que leurs ressources sont poussées à la limite.
À Montréal, Jean-Pierre Bélanger, coordinateur de la banque alimentaire Nourrir Notre Quartier, note qu’ils ont dû mettre en place des mesures de rationnement. “Nous limitons certains articles très demandés et réduisons la fréquence à laquelle certains clients peuvent nous visiter. C’est déchirant, mais nous n’avons tout simplement pas assez pour répondre aux besoins accrus sans ces restrictions.”
Le phénomène touche des communautés de tous les spectres économiques. Même à Calgary, en Alberta, relativement prospère, les organisations d’aide alimentaire signalent une augmentation de 25% des nouveaux utilisateurs depuis la fermeture des écoles fin juin. Beaucoup de ces nouveaux clients sont des familles qui travaillent et qui réussissent normalement à joindre les deux bouts pendant l’année scolaire.
“Ce que beaucoup de gens ne réalisent pas, c’est l’ampleur de la pression financière que subissent ces familles,” explique l’économiste Dr. Amina Shah de l’Université de la Colombie-Britannique. “Une famille avec deux enfants d’âge scolaire pourrait soudainement devoir fournir 10 repas supplémentaires par semaine et par enfant. Aux prix actuels de l’épicerie, c’est facilement 200 à 300 dollars de plus par mois—de l’argent que de nombreux ménages n’ont tout simplement pas.”
Le problème est particulièrement aigu dans les communautés nordiques, où les coûts alimentaires sont déjà considérablement plus élevés que les moyennes nationales. À Yellowknife, les denrées de base peuvent coûter 2 à 3 fois ce que paient les Canadiens du sud, rendant l’insécurité alimentaire estivale encore plus grave pour les familles de ces régions.
Certaines communautés mettent en œuvre des solutions innovantes. À Winnipeg, plusieurs divisions scolaires ont maintenu des programmes de nutrition d’été limités, permettant aux enfants d’accéder aux repas dans des écoles désignées, quel que soit leur statut d’inscription. Pendant ce temps, à Halifax, une coalition d’organismes communautaires a lancé “Subsistance d’été”, un programme offrant des cartes-cadeaux d’épicerie aux familles identifiées par les travailleurs sociaux des écoles.
Cependant, ces initiatives restent des solutions fragmentaires à un problème systémique. Les défenseurs soutiennent que des réponses politiques plus coordonnées sont nécessaires aux niveaux provincial et fédéral.
“Ce que nous voyons est essentiellement une crise saisonnière que nous savons revenir chaque année, mais pour laquelle nous n’avons toujours pas de préparations adéquates,” note la chercheuse en politique sociale Denise Williams. “Les programmes de nutrition scolaire sont devenus de facto des mesures de sécurité alimentaire pour des milliers d’enfants canadiens, mais le système n’a pas évolué pour répondre à ce qui se passe lorsque ces programmes font une pause.”
Alors que les banques alimentaires luttent pour répondre à la hausse de la demande estivale, la situation soulève de profondes questions sur les solutions à long terme. Les programmes de nutrition d’été devraient-ils devenir des extensions standard des offres de l’année scolaire? Les avantages fiscaux pour les familles avec enfants peuvent-ils être structurés pour fournir un soutien supplémentaire pendant les vacances scolaires? Alors que les familles canadiennes naviguent dans un autre été difficile, ces questions exigent une attention au-delà des réponses caritatives.
Alors que nous constatons des nombres record dans les banques alimentaires à travers le pays, la question la plus importante est peut-être celle-ci: dans une nation d’abondance, comment avons-nous normalisé le fait que l’accès des enfants à une nutrition adéquate dépende du fait que l’école soit en session?