À l’ombre du paysage industriel de Saint John, une crise silencieuse se déroule alors que les banques alimentaires locales signalent des augmentations alarmantes de la demande durant les premiers mois de 2024. Cette hausse reflète une réalité économique troublante pour de nombreux résidents qui se retrouvent de plus en plus à faire des choix impossibles entre payer leurs factures et mettre de la nourriture sur la table.
“Nous avons constaté une augmentation d’environ 30% de nouveaux clients depuis janvier,” révèle Melissa Crawford, directrice générale du Saint John Community Food Basket. “Ce ne sont pas simplement des personnes en chômage chronique—nous voyons des familles qui travaillent, des aînés avec des revenus fixes, et des jeunes professionnels qui n’arrivent tout simplement plus à étirer leurs chèques de paie suffisamment.”
Le Community Food Basket n’est pas le seul à faire face à cette pression croissante. Partout dans la ville, des organisations similaires signalent que leurs ressources sont étirées à mesure que l’inflation continue d’éroder le pouvoir d’achat pour les produits essentiels. L’Alliance des banques alimentaires de Saint John, qui coordonne les services entre plusieurs fournisseurs d’aide alimentaire d’urgence, note que plusieurs garde-manger de quartier ont dû réduire leurs jours de distribution simplement pour gérer leur inventaire.
“Ce qui est particulièrement inquiétant, c’est le changement démographique dont nous sommes témoins,” explique Dr. Helen Morgan, économiste spécialisée en politique sociale canadienne. “Il y a cinq ans, environ 12% des utilisateurs de banques alimentaires au niveau national avaient un emploi. Aujourd’hui, ce chiffre approche 20% dans des villes comme Saint John. Les travailleurs pauvres représentent le segment de l’insécurité alimentaire qui croît le plus rapidement au Nouveau-Brunswick.”
Derrière ces statistiques se trouvent de vraies personnes confrontées à de véritables difficultés. James Thornton, travailleur de la construction de 38 ans et père de deux enfants, a partagé son expérience: “Je n’aurais jamais pensé devoir utiliser une banque alimentaire. Je travaille à temps plein, mais avec les augmentations de loyer et le coût actuel des épiceries, certaines semaines nous ne pouvons tout simplement pas nous en sortir sans aide. C’est humiliant, mais je suis reconnaissant que ce service existe.”
Les responsables des banques alimentaires pointent vers plusieurs facteurs qui alimentent ce besoin accru. Les coûts du logement à Saint John ont augmenté d’environ 15% au cours des deux dernières années, tandis que les prix des denrées alimentaires continuent de dépasser la croissance des salaires. Selon les données de Statistique Canada, l’inflation alimentaire a atteint 5,9% en avril, nettement plus élevée que le taux d’inflation global.
Le gouvernement provincial a reconnu le problème mais fait face à des critiques selon lesquelles les programmes de soutien existants ne suivent pas le rythme des réalités économiques. “Nous appliquons essentiellement des solutions temporaires à un problème systémique,” note Crawford. “Sans s’attaquer aux causes profondes de l’insécurité alimentaire—salaires inadéquats, taux d’aide sociale insuffisants et pénurie de logements abordables—nous continuerons à voir ces chiffres augmenter.”
La réponse communautaire a été robuste, avec des entreprises locales et des particuliers qui augmentent leurs dons pour aider à répondre à la demande. L’Association des épiciers de Port City a récemment annoncé un engagement collectif de fournir 50 000$ en nourriture et fournitures aux banques alimentaires de la région cette année, tandis que plusieurs communautés religieuses ont élargi leurs programmes de repas.
Cependant, les directeurs des banques alimentaires soulignent que la charité seule ne peut pas résoudre les problèmes sous-jacents. “Nous sommes reconnaissants pour chaque don, mais nous devons également avoir des conversations sérieuses sur les changements de politique,” dit Crawford. “Un salaire vital, de meilleurs soutiens sociaux et des stratégies de logement abordable sont essentiels si nous voulons inverser cette tendance.”
À l’approche de l’été—généralement une période où les dons diminuent alors que les besoins familiaux augmentent en raison des enfants qui sont à la maison et non à l’école—les banques alimentaires se préparent à des défis encore plus grands. La question qui se pose maintenant à Saint John va au-delà de comment nourrir plus de résidents affamés: comment notre communauté va-t-elle s’attaquer aux facteurs systémiques qui ont fait des banques alimentaires un service essentiel pour les familles qui travaillent plutôt qu’un simple filet de sécurité pour ceux en crise?