Le froid diplomatique entre Ottawa et Washington semble se dissiper alors que les représentants commerciaux des deux nations sont revenus à la table des négociations hier, mettant fin à une impasse de trois mois déclenchée par la controversée taxe canadienne sur les services numériques.
Dans ce que les observateurs qualifient de moment charnière pour les relations commerciales nord-américaines, la représentante américaine au Commerce Katherine Tai et la ministre canadienne du Commerce international Mary Ng se sont rencontrées à Washington pour reprendre le dialogue sur plusieurs questions litigieuses qui ont mis à rude épreuve le partenariat économique habituellement solide entre les deux voisins.
“Aujourd’hui marque un retour à l’engagement productif qui a défini notre relation depuis des générations,” a déclaré la ministre Ng suite à la réunion de quatre heures. “Bien que d’importantes divergences subsistent, notamment concernant notre approche de la taxation numérique, les deux parties reconnaissent l’importance cruciale de notre relation commerciale de 2,6 billions de dollars.”
Le différend a éclaté en mars lorsque le Canada a mis en œuvre sa taxe de 3% sur les services numériques visant les grandes entreprises technologiques dont les revenus mondiaux annuels dépassent 1 milliard de dollars et les revenus canadiens supérieurs à 20 millions de dollars. La nature rétroactive de la taxe, qui s’applique aux revenus générés depuis janvier 2022, a particulièrement irrité les responsables américains qui l’ont perçue comme ciblant injustement les géants technologiques américains comme Google, Amazon et Facebook.
Selon des sources proches des négociations, l’administration Biden a assoupli sa position initialement intransigeante, qui incluait des menaces de droits de douane de représailles sur les produits canadiens. Ce changement intervient alors que Washington reconnaît de plus en plus que la taxation numérique devient une réalité mondiale, avec des mesures similaires déjà adoptées en Europe et en Asie.
“Les États-Unis réalisent que lutter contre toutes les formes de taxation numérique devient intenable,” explique Dre Elise Johnson, professeure de commerce international à l’Université de Toronto. “L’accent semble maintenant être mis sur la façon de façonner ces régimes fiscaux plutôt que de les bloquer entièrement.”
Les responsables canadiens ont indiqué qu’ils restent attachés à leur cadre de taxation numérique, mais ont signalé leur volonté de discuter des calendriers de mise en œuvre et des modifications potentielles pour éviter la double imposition des entreprises concernées. Le premier ministre Trudeau a défendu cette mesure comme “essentielle pour créer des règles du jeu équitables” lors des débats parlementaires de la semaine dernière.
Les pourparlers renouvelés abordent également plusieurs autres points de friction, notamment les différends de longue date concernant le bois d’œuvre, l’accès au marché laitier et la coopération en matière de minéraux critiques. Les représentants commerciaux ont souligné de nouvelles possibilités de collaboration sur les initiatives d’énergie propre et la résilience des chaînes d’approvisionnement.
Les milieux d’affaires des deux pays ont accueilli favorablement ce redémarrage diplomatique. La Chambre de commerce du Canada a publié une déclaration le qualifiant de “étape cruciale vers le rétablissement de la prévisibilité dans notre relation commerciale la plus importante,” tout en soulignant que l’incertitude concernant le commerce transfrontalier a déjà retardé des décisions d’investissement de plusieurs milliards.
Les analystes économiques notent que le moment est particulièrement significatif, les deux pays faisant face à des vents contraires économiques, notamment une inflation persistante et un ralentissement de la croissance. Les exportations du Canada vers les États-Unis représentent environ 75% de ses exportations totales, créant un levier considérable pour les négociateurs américains.
“Aucun des deux pays ne peut se permettre un différend commercial prolongé en ce moment,” remarque l’analyste financier Robert Williams de RBC Marchés des Capitaux. “L’interdépendance économique est trop profonde, particulièrement dans les secteurs manufacturiers de la région des Grands Lacs.”
Les défenseurs des droits numériques restent préoccupés par le fait que les pressions commerciales pourraient compromettre la capacité du Canada à réglementer son économie numérique. OpenMedia, une organisation de défense des droits numériques, a exhorté le gouvernement à “rester ferme pour s’assurer que les multinationales technologiques paient leur juste part” indépendamment des pressions commerciales.
Alors que les négociations se poursuivent dans les semaines à venir, les observateurs surveilleront attentivement les signes de compromis. Avec l’élection présidentielle américaine qui se profile en novembre, il y a une urgence accrue à résoudre ces problèmes avant qu’un éventuel changement d’administration puisse redéfinir les priorités commerciales américaines.
La question fondamentale demeure: ces deux alliés historiques peuvent-ils trouver un équilibre entre la souveraineté du Canada en matière fiscale et le désir américain de protéger son secteur technologique, ou sommes-nous témoins du début d’une nouvelle ère de conflits commerciaux numériques qui remodèleront les relations économiques nord-américaines pour les décennies à venir?