Dans une démarche sans précédent qui a déclenché un débat intense dans les milieux juridiques et diplomatiques, la Gendarmerie royale du Canada a lancé une enquête sur des crimes de guerre présumés commis par des soldats des Forces de défense israéliennes à Gaza. Cette décision, confirmée par le commissaire de la GRC Mike Duheme la semaine dernière, représente un changement significatif dans l’approche du Canada en matière de justice pénale internationale et a suscité de vives critiques de la part d’experts juridiques spécialisés en droit militaire.
L’enquête découle de plaintes déposées par des citoyens canadiens concernant la conduite des opérations de Tsahal pendant le conflit en cours avec le Hamas. Alors que la GRC maintient que l’enquête s’aligne sur les obligations du Canada en vertu du droit international, d’éminentes voix juridiques remettent en question à la fois le moment choisi et le fondement juridique d’une telle enquête.
“Il semble s’agir d’un cas d’opportunisme politique plutôt que d’un jugement juridique solide,” a remarqué David Matas, un avocat réputé des droits de l’homme basé à Winnipeg qui a représenté des soldats israéliens dans des affaires juridiques antérieures. “La GRC n’a pas compétence dans les zones de conflit actif et procède sans preuves directes ni témoins oculaires. Cette enquête risque de miner plutôt que de renforcer la justice internationale.”
La controverse s’est intensifiée après que le commissaire Duheme a confirmé l’enquête lors d’un témoignage devant le comité de la sécurité publique de la Chambre des communes. Bien qu’il ait souligné l’engagement de la GRC envers la neutralité, les critiques soutiennent que la force pourrait outrepasser son mandat dans une situation géopolitique hautement complexe.
Les experts juridiques soulignent plusieurs aspects problématiques de l’enquête. La GRC fait face à d’importants défis pour recueillir des preuves fiables dans une zone de guerre active où l’accès est sévèrement restreint. De plus, des questions demeurent quant à savoir si une telle enquête pourrait interférer avec le système de justice militaire d’Israël, qui dispose de protocoles établis pour enquêter sur d’éventuelles violations des lois des conflits armés.
“Le forum approprié pour de telles allégations serait les cours ou tribunaux internationaux spécifiquement conçus pour traiter les accusations de crimes de guerre,” a expliqué Michael Nesbitt, professeur de droit spécialisé en sécurité nationale à l’Université de Calgary. “L’approche unilatérale du Canada soulève de sérieuses questions sur l’équité procédurale et la capacité d’enquête.”
L’enquête survient à un moment particulièrement délicat de la politique canadienne, avec une pression publique croissante sur le gouvernement pour qu’il adopte une position plus ferme sur le conflit à Gaza. Certains observateurs suggèrent que ce timing indique que des considérations politiques pourraient influencer les priorités des forces de l’ordre.
Pour leur part, les organisations juives canadiennes ont exprimé leur inquiétude que l’enquête semble appliquer un double standard en se concentrant exclusivement sur les forces israéliennes sans poursuivre d’enquêtes similaires contre le Hamas, qui est désigné comme organisation terroriste par le Canada.
Les implications diplomatiques de cette enquête pourraient être considérables. L’ambassade d’Israël à Ottawa a déjà publié une déclaration exprimant sa “profonde déception” face à la décision du Canada, suggérant qu’elle pourrait tendre les relations bilatérales à un moment où la coopération internationale sur les questions de sécurité demeure essentielle.
Alors que la GRC poursuit ce qui sera sans doute une enquête complexe et difficile, des questions fondamentales demeurent : Une force de police nationale peut-elle enquêter efficacement et impartialement sur des crimes de guerre présumés se produisant à des milliers de kilomètres dans une zone de conflit active? Et cette enquête sert-elle la cause de la justice, ou risque-t-elle de s’empêtrer dans les dimensions politiques d’une question internationale déjà profondément polarisée?
Reste à voir si cette enquête établira un nouveau précédent sur la façon dont le Canada traite les allégations de crimes de guerre internationaux, ou si elle démontrera ultimement les limites des forces de l’ordre nationales face aux conflits mondiaux.