Les vastes eaux balayées par les vents au large des côtes du Canada atlantique pourraient bientôt devenir l’épine dorsale de la révolution énergétique propre américaine, malgré les vents politiques contraires qui soufflent au sud de la frontière. Alors que les États du nord-est américain accélèrent leur transition vers l’abandon des combustibles fossiles, les développeurs canadiens positionnent la région comme le centre névralgique nord-américain de l’énergie éolienne en mer.
“Nous sommes à l’aube d’une opportunité sans précédent,” affirme Martin Sullivan, PDG d’Atlantic Wind Partners, en contemplant les eaux agitées au large de la Nouvelle-Écosse. “Ces eaux pourraient générer suffisamment d’électricité pour alimenter des millions de foyers américains tout en créant des milliers d’emplois pour les Canadiens.”
Ces plans ambitieux reposent sur un réseau complexe de câbles de transmission sous-marins qui achemineraient l’énergie propre directement vers les marchés gourmands en électricité de New York, du Massachusetts et d’autres États du nord-est. Des études de faisabilité récentes suggèrent que la région pourrait fournir jusqu’à 25 gigawatts d’énergie éolienne en mer d’ici 2035, soit l’équivalent de l’alimentation d’environ 20 millions de foyers américains.
Les enjeux économiques sont énormes. Selon une analyse du Conference Board du Canada, le secteur éolien en mer de l’Atlantique pourrait générer plus de 25 milliards de dollars d’investissements et créer plus de 15 000 emplois directs et indirects en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick et à Terre-Neuve-et-Labrador au cours de la prochaine décennie.
Cependant, l’incertitude politique plane. L’ancien président américain Donald Trump, actuellement en campagne pour un second mandat, a maintes fois dénigré l’éolien en mer, le qualifiant d'”extrêmement coûteux” et de “désastre environnemental.” Sa position a suscité des inquiétudes chez les investisseurs quant à la viabilité à long terme des projets énergétiques transfrontaliers s’il retournait à la Maison Blanche.
“L’environnement réglementaire aux États-Unis est certainement un facteur à considérer,” reconnaît Katherine Reynolds, directrice des politiques chez CO24 Business. “Mais les États du nord-est ont leurs propres objectifs climatiques ambitieux qui existent indépendamment de la politique fédérale. La demande d’énergie propre ne va pas disparaître, peu importe qui occupe la Maison Blanche.”
En effet, le Massachusetts, New York et le New Jersey ont tous légiféré des exigences pour augmenter considérablement l’utilisation des énergies renouvelables d’ici 2030. Ces États font face à des défis importants pour développer leurs propres ressources éoliennes en mer en raison des zones propices limitées et de la concurrence féroce pour les droits de location.
L’avantage canadien réside non seulement dans ses abondantes ressources éoliennes, mais aussi dans son cadre réglementaire. Les gouvernements provinciaux du Canada atlantique ont simplifié les processus d’autorisation tout en maintenant les normes environnementales, créant ce que les initiés de l’industrie décrivent comme un “climat d’investissement prévisible.”
La participation des Premières Nations représente une autre dimension cruciale de cette industrie émergente. Plusieurs communautés autochtones ont déjà formé des partenariats avec des développeurs, garantissant que les bénéfices reviennent aux populations historiquement marginalisées.
“Il ne s’agit pas seulement d’exporter de l’électricité,” explique la chef Marilyn Francis de la Coalition énergétique Mi’kmaq. “Il s’agit d’exporter un modèle de développement responsable qui respecte les droits autochtones et les connaissances traditionnelles.”
Les défis techniques demeurent considérables. Les corridors de transmission sous-marins proposés traverseraient certains des environnements marins les plus difficiles au monde, nécessitant des solutions d’ingénierie de pointe. Les estimations préliminaires des coûts pour les connexions internationales varient de 3 à 5 milliards de dollars selon la capacité et le tracé.
Malgré ces obstacles, l’élan continue de se construire. Le mois dernier, un consortium de développeurs canadiens et européens a annoncé un investissement initial de 500 millions de dollars dans des évaluations préliminaires de sites, tandis que trois grands services publics américains ont signé des protocoles d’entente pour potentiellement acheter de l’énergie éolienne canadienne.
L’administration Biden a également manifesté son soutien à la coopération transfrontalière en matière d’énergie propre par le biais du récent Cadre nord-américain pour l’énergie propre, qui mentionne spécifiquement le potentiel en mer du Canada atlantique comme stratégique pour la sécurité énergétique continentale.
Pour les communautés côtières qui ont traversé des décennies de défis économiques suite à l’effondrement des pêcheries traditionnelles, la promesse d’une nouvelle industrie durable offre de l’espoir. “Nous avons toujours gagné notre vie grâce à la mer,” réfléchit Harold Thompson, maire d’une petite ville de pêche de la Nouvelle-Écosse. “Récolter du vent plutôt que du poisson semble être une évolution naturelle.”
Alors que le monde se concentre de plus en plus sur l’action climatique, les vents de changement qui soufflent sur l’Atlantique Nord pourraient transporter plus que de l’énergie – ils pourraient représenter un nouveau modèle de coopération transfrontalière pour relever les défis mondiaux. La question demeure : ce partenariat prometteur en matière d’énergie propre pourra-t-il résister aux tempêtes imprévisibles de la politique américaine?