L’emblématique étiquette rouge et jaune de Del Monte, présente dans les rayons d’épicerie depuis des générations, pourrait bientôt devenir une relique de l’histoire du commerce. Dans un développement stupéfiant qui a envoyé des ondes de choc à travers l’industrie alimentaire hier, Del Monte Foods a déposé une demande de protection contre la faillite après 138 ans d’activité, citant des “défis financiers insurmontables” et un paysage de consommation en rapide évolution.
Debout dans un supermarché québécois où les produits Del Monte sont vendus depuis les années 1950, la gravité de ce moment n’échappe pas au gérant de longue date Jean Tremblay. “Nous avons des clients qui viennent confus, demandant si nous continuerons à proposer leurs pêches en conserve ou leurs morceaux d’ananas,” dit-il, en ajustant des présentoirs qui pourraient bientôt devenir des objets de collection. “Ce sont des produits que les grands-parents de nos clients utilisaient. C’est comme regarder disparaître un morceau de notre patrimoine culinaire.”
Le dépôt de bilan révèle la dure réalité derrière cette marque familière : Del Monte est aux prises avec une dette de 1,2 milliard de dollars tout en faisant face à une pression croissante des marques maison et à l’évolution des préférences des consommateurs qui favorisent les produits frais plutôt que les conserves. Les analystes de l’industrie soulignent une baisse de 23 % de la consommation de fruits en conserve au cours de la dernière décennie, les jeunes acheteurs contournant de plus en plus ces produits traditionnels.
“Del Monte n’a pas innové assez rapidement dans un marché exigeant praticité, durabilité et fraîcheur perçue,” explique Sophie Lavoie, analyste de commerce chez Desjardins. “Alors qu’ils comptaient encore sur la fidélité des générations plus âgées, leurs concurrents captaient la démographie cruciale des milléniaux et de la génération Z avec des options fraîches, prêtes à manger et des emballages écologiques.”
Les difficultés de l’entreprise reflètent des tendances plus larges qui remodèlent le paysage alimentaire canadien. Les géants traditionnels des produits emballés se retrouvent dépassés par des startups agiles et font face à la pression des détaillants qui élargissent leurs propres offres de marques maison. Loblaws et Metro ont tous deux étendu leurs gammes de conserves de marque maison de plus de 30 % depuis 2022, les proposant souvent à des prix nettement inférieurs à ceux des marques nationales comme Del Monte.
Le PDG de Del Monte, Carlos Sanchez, s’est adressé aux employés lors d’une réunion émotionnelle à l’échelle de l’entreprise, soulignant que les opérations se poursuivraient pendant la restructuration. “Ce n’est pas la fin de Del Monte, mais une étape nécessaire pour assurer notre avenir,” a déclaré Sanchez dans une allocution préparée. “Nous avons l’intention d’émerger plus forts, plus efficaces et mieux positionnés pour servir le consommateur moderne.”
Pour l’instant, les produits Del Monte resteront en rayon pendant que l’entreprise négocie avec ses créanciers et investisseurs potentiels. Les documents judiciaires indiquent que l’entreprise prévoit de vendre plusieurs installations de production et explore des options pour se défaire de certaines de ses marques moins rentables tout en concentrant ses ressources sur ses gammes de produits biologiques et à base de plantes, qui ont montré une croissance modeste.
Le dépôt de bilan a des implications plus larges pour les quelque 4 300 employés de Del Monte en Amérique du Nord et les nombreuses exploitations agricoles qui approvisionnent l’entreprise. Dans les régions agricoles du Québec et de l’Ontario, où Del Monte s’approvisionne en fruits, les producteurs envisagent déjà des plans d’urgence.
“Nous vendons des pêches à Del Monte depuis trois générations,” raconte Pierre Leclerc, dont la ferme familiale approvisionne l’entreprise. “Ils représentent environ 40 % de notre activité. Nous sommes déjà en pourparlers avec d’autres acheteurs, mais cela crée une incertitude énorme pour la prochaine saison de récolte.”
À mesure que cette histoire évolue, la question reste de savoir si Del Monte rejoindra les rangs des marques autrefois puissantes qui ont disparu après une faillite, ou si elle réussira à se réinventer pour le consommateur du 21e siècle. Quoi qu’il en soit, la faillite de Del Monte représente plus qu’un simple échec commercial — elle signale le déclin d’une marque qui a contribué à définir le garde-manger nord-américain pendant plus d’un siècle.