Dans une initiative sans précédent qui reconnaît la crise croissante de la démence dans les communautés autochtones, le gouvernement fédéral a dévoilé un investissement de 24 millions de dollars visant à transformer les soins culturellement adaptés de la démence à travers le Canada. Cette annonce survient alors que de plus en plus de preuves démontrent que les populations autochtones font face à des taux disproportionnellement plus élevés de démence et à des obstacles considérablement plus importants en matière de diagnostic et de traitement.
Le financement, annoncé hier lors d’une cérémonie à Sudbury, établira le premier réseau complet de soins de la démence dirigé par des Autochtones au Canada, couvrant les communautés autochtones rurales, éloignées et urbaines. Le ministre de la Santé, Mark Holland, a souligné que cette initiative représente plus qu’un simple soutien financier—elle marque un changement fondamental vers des solutions de soins de santé dirigées par les Autochtones.
“Il s’agit de reconnaître que la guérison vient de l’intérieur des communautés elles-mêmes,” a déclaré Holland lors de l’annonce. “Pendant trop longtemps, nous avons imposé des cadres médicaux occidentaux qui ne répondent pas adéquatement aux dimensions culturelles et spirituelles uniques de la santé et du bien-être autochtones.”
Des études récentes publiées dans la Revue canadienne de santé publique révèlent des statistiques troublantes : les adultes autochtones développent la démence presque une décennie plus tôt que les Canadiens non autochtones, avec des taux jusqu’à 34 % plus élevés dans certaines communautés. Plus préoccupant encore, les experts croient que ces chiffres sous-estiment probablement l’ampleur réelle de la crise en raison d’un sous-diagnostic important.
Dre Jennifer Walker, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en santé autochtone à l’Université Laurentienne et architecte principale de cette nouvelle initiative, souligne les obstacles systémiques qui ont perpétué cette inégalité en matière de santé.
“Les aînés autochtones qui connaissent des changements cognitifs évitent souvent les établissements de santé conventionnels en raison de traumatismes historiques et d’expériences continues de discrimination,” a expliqué Walker. “Lorsque les soins de santé manquent de sécurité culturelle et de services linguistiques appropriés, beaucoup souffrent en silence jusqu’à ce qu’ils atteignent des points de crise.”
Le nouveau réseau financé fonctionnera selon un modèle “en étoile” avec sept centres régionaux à travers le Canada coordonnant avec les autorités sanitaires autochtones locales. Chaque centre développera des approches personnalisées reflétant les besoins et traditions distincts des communautés des Premières Nations, des Métis et des Inuits dans leurs régions.
Les composantes essentielles de l’initiative comprennent la formation des travailleurs de la santé autochtones à l’évaluation culturellement adaptée de la démence, la création de ressources multilingues dans les langues autochtones, et le développement de programmes de soins de la mémoire axés sur le territoire qui intègrent les pratiques de guérison traditionnelles aux approches médicales contemporaines.
Dans le nord de l’Ontario, le Réseau de soins de la démence Anishinaabe a déjà mis à l’essai plusieurs approches novatrices qui seront maintenant étendues à l’échelle nationale. Leur programme “Gardiens de la mémoire” jumelle des aînés souffrant de pertes de mémoire avec des membres plus jeunes de la communauté pour la transmission des connaissances culturelles par le biais de la narration, la préparation d’aliments traditionnels et la cueillette de plantes médicinales—des activités qui préservent simultanément les connaissances culturelles tout en offrant une thérapie de stimulation cognitive.
Les analystes financiers qui suivent la politique canadienne en matière de soins de santé notent que cet investissement représente l’une des initiatives de santé autochtone ciblées les plus importantes de ces dernières années, bien que certains défenseurs soutiennent qu’il ne fait que commencer à remédier à des décennies de sous-financement.
Le chef Alvin Fiddler de la Nation Nishnawbe Aski a salué cet investissement tout en soulignant la nécessité d’un engagement durable. “Ce financement reconnaît l’expertise qui existe au sein de nos communautés,” a déclaré Fiddler. “Mais s’attaquer aux causes profondes de la démence—notamment l’insécurité alimentaire, le logement inadéquat et les traumatismes intergénérationnels—nécessite des partenariats à long terme au-delà de cet investissement initial.”
Cette initiative survient alors que les milieux de la santé mondiale reconnaissent de plus en plus que la démence représente l’un des défis de santé publique les plus importants des prochaines décennies. Avec des cas mondiaux qui devraient tripler d’ici 2050, les communautés autochtones du monde entier développent des modèles de soins innovants qui intègrent les connaissances traditionnelles aux approches contemporaines.
La mise en œuvre commencera le mois prochain avec des consultations communautaires dans toutes les provinces et territoires. Les premiers centres régionaux devraient être opérationnels d’ici début 2025, avec une couverture nationale complète prévue dans les trois ans.
Alors que le Canada navigue à l’intersection complexe de la réconciliation et de la réforme des soins de santé, cette initiative soulève une question essentielle : les approches dirigées par les Autochtones en matière de soins de la démence pourraient-elles finalement transformer notre compréhension et notre façon d’aborder la santé cognitive pour tous les Canadiens?