Les géants cristallins qui ont défini les paysages les plus majestueux de l’Amérique du Nord depuis des millénaires disparaissent à un rythme sans précédent. Une nouvelle recherche publiée hier par le Consortium nord-américain de surveillance glaciaire révèle que les glaciers du Canada et du nord-ouest des États-Unis fondent maintenant deux fois plus vite qu’il y a une décennie, déclenchant l’alarme chez les climatologues et les gestionnaires des ressources en eau.
“Nous nous attendions à une accélération, mais l’ampleur a stupéfié même nos chercheurs les plus chevronnés”, explique Dre Melissa Hernandez, glaciologue en chef à l’Université de la Colombie-Britannique et chercheuse principale de l’étude. “Dans des régions comme le champ de glace Columbia, nous constatons une perte annuelle de glace de 3,2 mètres d’épaisseur, comparativement à 1,5 mètre annuellement de 2010 à 2020.”
L’analyse complète, qui a utilisé l’imagerie satellite, le radar à pénétration de sol et des mesures directes sur le terrain sur 137 glaciers majeurs, dresse un tableau sombre de la cryosphère canadienne en déclin rapide. Les glaciers côtiers de la Colombie-Britannique montrent les changements les plus dramatiques, avec des réductions de volume dépassant 27 % depuis 2015.
Ce qui rend cette accélération particulièrement préoccupante, ce sont ses implications pour la sécurité hydrique du Canada. L’eau de fonte glaciaire alimente actuellement en eau potable des millions de Canadiens et d’Américains, fait fonctionner des installations hydroélectriques dans les provinces de l’Ouest et maintient des débits estivaux essentiels dans les systèmes fluviaux qui soutiennent l’agriculture et les pêcheries.
“Ce n’est pas seulement une histoire environnementale, c’est une histoire économique”, note Warren Phillips, économiste environnemental principal à l’Institut canadien du climat. “Lorsque ces réservoirs naturels disparaîtront, les coûts en aval pour l’infrastructure, la production d’énergie et le traitement de l’eau atteindront des milliards annuellement.”
Les communautés autochtones des territoires adjacents aux glaciers sonnent l’alarme concernant ces changements depuis des années. Elaine Waskewitch, aînée de la Nation Ktunaxa dans le sud-est de la Colombie-Britannique, décrit comment le savoir traditionnel avait prédit la crise actuelle : “Nos histoires parlent des êtres de glace qui se retirent lorsque l’équilibre est perdu. Ce que la science mesure maintenant, nos ancêtres le comprenaient il y a des générations.”
La fonte accélérée est directement corrélée aux anomalies de température dans l’ouest de l’Amérique du Nord, où les températures annuelles moyennes ont augmenté de 2,3°C depuis l’ère préindustrielle, ce qui est nettement supérieur à la moyenne mondiale de 1,2°C. Les derniers modèles climatiques prévoient que, sans réductions immédiates et substantielles des émissions, jusqu’à 80 % de la glace des glaciers de l’ouest du Canada pourrait disparaître d’ici 2050.
La ministre fédérale de l’Environnement, Catherine McKinnon, a répondu aux conclusions en annonçant un fonds de résilience des glaciers de 175 millions de dollars destiné aux programmes de surveillance et à la planification de l’adaptation communautaire. “Ces résultats exigent une réévaluation urgente de nos objectifs climatiques”, a déclaré McKinnon lors de la conférence de presse d’hier à Ottawa. “Le délai d’action s’est considérablement réduit.”
Pour des communautés comme Banff et Jasper qui dépendent des bassins versants alimentés par les glaciers et du tourisme d’observation des glaciers, les implications économiques sont immédiates. Les opérateurs touristiques signalent des changements visibles affectant l’expérience des visiteurs, avec des points de vue autrefois fiables qui révèlent maintenant de la roche nue et des marges de glace en recul.
Les scientifiques soulignent que, bien que l’accélération soit alarmante, des réductions significatives des émissions pourraient encore préserver une partie des glaces emblématiques de l’Amérique du Nord. Dre Hernandez cite des modèles montrant que limiter le réchauffement à 1,5°C pourrait stabiliser environ 40 % du volume actuel des glaciers, une amélioration spectaculaire par rapport aux scénarios de maintien du statu quo.
La recherche souligne comment le climat canadien qui se réchauffe se transforme plus rapidement que les moyennes mondiales ne le suggèrent. Alors que ces réservoirs gelés se convertissent en écoulement, nous sommes confrontés à une question cruciale qui dépasse les préoccupations environnementales pour toucher au fondement même de la sécurité hydrique de l’ouest de l’Amérique du Nord : notre infrastructure, nos systèmes économiques et nos communautés peuvent-ils s’adapter assez rapidement à un avenir où les tours de glace fiables qui ont régulé nos bassins versants pendant des milliers d’années ne remplissent plus cette fonction vitale?