La Cour d’appel fédérale s’apprête à examiner une affaire qui fera jurisprudence concernant la contestation par une ferme d’autruches de la Colombie-Britannique des protocoles de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, ce qui pourrait remodeler la gestion des urgences agricoles à l’échelle nationale.
La Ferme d’autruches Morrison, une exploitation familiale dans la vallée de l’Okanagan, a intensifié sa bataille juridique après que l’ACIA ait ordonné l’abattage de tout leur troupeau suite à la détection d’un seul cas de grippe aviaire hautement pathogène (IAHP) en décembre 2023. Les propriétaires de la ferme, James et Sarah Morrison, soutiennent que la politique d’abattage généralisé ne tient pas compte des distinctions essentielles entre la biologie des autruches et celle des volailles conventionnelles.
“Les autruches sont fondamentalement différentes des poulets ou des dindes dans leur façon de traiter et de transmettre les virus,” a expliqué Dre Eleanor Harrington, pathologiste vétérinaire qui a témoigné lors des audiences initiales. “L’approche universelle de l’ACIA n’est pas seulement économiquement dévastatrice—elle est scientifiquement discutable.”
L’affaire a suscité une attention considérable au sein de la communauté agricole canadienne, avec des associations industrielles de la Colombie-Britannique jusqu’à la Nouvelle-Écosse qui suivent attentivement les procédures. La ferme Morrison, qui opère depuis plus de trente ans, représente l’une des plus grandes exploitations spécialisées d’autruches du Canada, fournissant viande, cuir et plumes aux marchés nationaux et internationaux.
Les documents judiciaires révèlent que les Morrison ont proposé des mesures de confinement alternatives, notamment des protocoles d’isolement et des régimes de tests renforcés qui auraient préservé la majorité de leur troupeau de 280 oiseaux. L’ACIA a rejeté ces propositions, citant les directives établies d’intervention d’urgence pour les épidémies de grippe aviaire.
“Nous ne contestons pas l’autorité de l’agence à protéger l’agriculture canadienne,” a déclaré Rachel Goldstein, l’avocate de la ferme. “Nous contestons leur refus d’adapter des protocoles scientifiques à différentes espèces avec différents profils de risque.”
Des économistes agricoles estiment que l’impact financier sur l’exploitation Morrison dépasse 2,3 millions de dollars, tenant compte à la fois des pertes immédiates et des implications à long terme pour le stock reproducteur. Contrairement aux exploitations avicoles conventionnelles, les fermes d’oiseaux exotiques spécialisées maintiennent souvent des lignées génétiques uniques développées sur des décennies.
L’audience de la Cour d’appel fédérale, prévue pour le mois prochain à Vancouver, examinera si l’ACIA a correctement considéré ses obligations en vertu de la Loi sur la santé des animaux d’employer les méthodes “les moins destructrices” nécessaires pour contenir les menaces de maladies.
“Cette affaire révèle la tension entre les principes de précaution et la réponse proportionnelle dans la gestion des urgences agricoles,” a noté Dr Thomas Kwong, spécialiste en politique agricole à l’Université de la Colombie-Britannique. “Le résultat pourrait influencer notre approche de l’évaluation des risques spécifiques aux espèces dans l’agriculture canadienne.”
Le cas Morrison a attiré le soutien d’organisations vétérinaires internationales qui ont soumis des mémoires d’amicus curiae remettant en question la base scientifique pour traiter les ratites—la famille d’oiseaux non volants qui comprend les autruches, les émeus et les nandous—de manière identique à la volaille conventionnelle dans les protocoles de gestion des maladies.
Des recherches récentes publiées dans le Journal of Veterinary Science suggèrent que les autruches peuvent démontrer des schémas d’excrétion virale et des dynamiques de transmission différents par rapport aux poulets et aux dindes, justifiant potentiellement des mesures de contrôle modifiées pendant les épidémies.
Alors que les exploitations agricoles à travers le Canada font face à des pressions croissantes de maladies dues au changement climatique et à la mondialisation, le cas Morrison soulève des questions cruciales sur l’équilibre entre la biosécurité et la durabilité économique. Nos cadres réglementaires peuvent-ils évoluer pour tenir compte des nuances scientifiques tout en protégeant le secteur agricole plus large contre les épidémies dévastatrices?