La perspective d’un retour de Donald Trump à la Maison Blanche a suscité une vague d’anxiété dans les cercles économiques canadiens, et pour cause. L’approche commerciale du premier mandat Trump a laissé des impressions durables sur notre relation transfrontalière, mais ce qui nous attend dans un éventuel second mandat pourrait être bien plus conséquent. Alors que la rhétorique de campagne s’intensifie, les Canadiens seraient avisés de se préparer à un paysage économique fondamentalement différent.
Lorsque Trump a pris ses fonctions en 2017, l’approche de son administration en matière de commerce international représentait un changement sismique par rapport à des décennies de politique mondialiste. La renégociation de l’ALENA en ACEUM n’était pas qu’un simple exercice de changement de marque – c’était un signal clair que les relations commerciales américaines seraient évaluées à travers un prisme plus transactionnel, privilégiant l’Amérique d’abord. Maintenant, à l’approche de 2024, les conseillers économiques de Trump élaborent des plans qui pourraient faire paraître son premier mandat comme un simple avertissement.
La pièce maîtresse du programme commercial proposé par Trump implique des tarifs généralisés commençant à 10 % sur toutes les marchandises importées, avec des augmentations potentielles jusqu’à 60 % ou plus pour les produits chinois. Pour le Canada, qui envoie environ 75 % de ses exportations au sud de la frontière, de telles mesures créeraient des ondes de choc économiques immédiates. Nos chaînes d’approvisionnement intégrées, particulièrement dans la fabrication automobile, l’énergie et l’agriculture, feraient face à des perturbations sans précédent.
« Ce que nous voyons dans les promesses de campagne de Trump n’est pas seulement un discours de négociation ferme – c’est une réimagination fondamentale de la façon dont l’Amérique s’engage économiquement avec le monde, y compris ses alliés les plus proches », explique Dr Marie Lavoie, économiste du commerce à l’Université McGill. « Les entreprises canadiennes doivent comprendre que ce n’est pas les affaires comme d’habitude. »
Au-delà des tarifs, l’équipe de Trump a évoqué l’utilisation de la Section 232 de la Loi sur l’expansion du commerce – le même mécanisme précédemment utilisé pour imposer des tarifs sur l’acier et l’aluminium – comme un large outil de sécurité nationale. Cette approche pourrait potentiellement contourner les restrictions de l’Organisation mondiale du commerce, créant un cadre quasi-juridique pour des politiques protectionnistes difficiles à contester par les voies traditionnelles.
Pour le secteur des ressources du Canada, particulièrement l’énergie et les mines, les implications sont mitigées. Bien que le pétrole canadien puisse bénéficier d’une concurrence mondiale réduite sur le marché américain, le potentiel de mesures de rétorsion d’autres partenaires commerciaux pourrait fermer des portes ailleurs. Notre secteur manufacturier, déjà aux prises avec des défis de productivité, ferait face à des obstacles encore plus importants sous un régime de tarifs élevés.
L’impact économique anticipé n’est pas simplement théorique. TD Économique projette que des tarifs américains généralisés pourraient réduire le PIB canadien jusqu’à 1,2 % en deux ans – équivalent à environ 30 milliards de dollars d’activité économique. Les pertes d’emplois pourraient dépasser 150 000 dans divers secteurs, les régions manufacturières de l’Ontario et du Québec supportant le plus gros de l’impact.
Ce qui rend cette situation particulièrement difficile est la boîte à outils limitée dont disposent les décideurs politiques canadiens. Notre économie n’a tout simplement pas l’envergure pour s’engager dans des batailles de tarifs avec notre plus grand partenaire commercial. Lorsque précédemment confronté aux tarifs sur l’acier et l’aluminium, les contre-mesures stratégiques du Canada ciblaient des produits politiquement sensibles des États républicains clés, mais de telles tactiques ont des rendements décroissants à mesure que les tarifs s’élargissent.
Le plus préoccupant est peut-être la façon dont la vision commerciale de Trump s’aligne sur des objectifs géopolitiques plus larges. Ses conseillers ont ouvertement discuté de l’utilisation du commerce comme levier pour remodeler les politiques d’immigration, les partenariats énergétiques et les arrangements de sécurité. Pour le Canada, cela signifie que les négociations commerciales pourraient s’emmêler avec des questions sans rapport comme la sécurité frontalière ou les dépenses de défense – créant des défis complexes et multidimensionnels pour notre corps diplomatique.
Les entreprises canadiennes ne restent pas immobiles. Beaucoup ont commencé à diversifier leurs bases de clients et leurs chaînes d’approvisionnement suite aux leçons de la première administration Trump. L’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) et l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG) offrent des marchés alternatifs, bien qu’aucun ne puisse remplacer complètement la relation américaine.
« La stratégie intelligente n’est pas d’espérer que cette tempête passe, mais de se préparer à des changements fondamentaux dans notre relation commerciale », note Jennifer Bancroft, directrice de la division de politique commerciale de la Chambre de commerce du Canada. « Les entreprises qui renforcent leurs relations non américaines maintenant seront mieux positionnées quel que soit le résultat des élections. »
Pour les Canadiens ordinaires, l’impact le plus visible viendrait probablement par des prix plus élevés. Les économistes estiment qu’un tarif de 10 % sur les produits canadiens se traduirait par des prix à la consommation environ 2-3 % plus élevés dans de nombreuses catégories – des automobiles aux produits alimentaires. Cette pression inflationniste arriverait à un moment où de nombreux ménages luttent déjà contre des problèmes d’abordabilité.
Face à cet avenir incertain, la meilleure défense du Canada pourrait être un engagement proactif plutôt qu’une réponse réactive. Renforcer les relations commerciales avec les économies émergentes, investir dans des technologies améliorant la productivité et développer des chaînes d’approvisionnement nationales plus résilientes sont des stratégies qui nous servent bien quel que soit l’occupant de la Maison Blanche.
La question fondamentale à laquelle le Canada est confronté n’est pas de savoir si nous pouvons éviter le protectionnisme américain, mais comment nous y adapter tout en maintenant notre souveraineté économique et notre prospérité. Comme l’a récemment dit un initié d’Ottawa, « Nous devons nous préparer au pire tout en travaillant pour le meilleur – et reconnaître que notre avenir économique peut dépendre de la façon dont nous naviguerons avec succès dans ces eaux traîtresses. »