Le secteur canadien de la transformation alimentaire fait face à des défis sans précédent alors que les tensions commerciales mondiales s’intensifient, selon le dernier rapport économique de Financement agricole Canada (FAC). Avec des projections de croissance des exportations réduites de près de moitié pour 2023, les acteurs de l’industrie, des usines de transformation jusqu’aux rayons des épiceries, se préparent à subir les conséquences sur toute la chaîne d’approvisionnement.
“Ce que nous observons n’est pas simplement un ajustement temporaire du marché, mais un changement fondamental dans la façon dont les producteurs alimentaires canadiens doivent naviguer dans le commerce international,” explique JP Gervais, économiste en chef de FAC et auteur de cette analyse révélatrice. “Le secteur qui a historiquement été un pilier résilient de notre économie doit maintenant faire face à des politiques protectionnistes qui n’étaient sur l’écran radar de personne il y a cinq ans.”
Les chiffres racontent une histoire préoccupante : les exportations de produits alimentaires transformés devraient maintenant croître de seulement 4 %, bien en-dessous des projections antérieures de 7 %. Cette réduction survient à un moment particulièrement difficile pour une industrie déjà aux prises avec des coûts d’intrants gonflés par l’inflation et des pénuries de main-d’œuvre tout au long du cycle de production.
Derrière ces chiffres se cache un réseau complexe de différends commerciaux et de relations diplomatiques en évolution. Le secteur alimentaire canadien, qui représente environ 2 % du PIB national et emploie plus de 290 000 travailleurs, se retrouve pris dans des feux croisés qui ne sont pas de son fait – des restrictions continues de la Chine sur les produits agricoles canadiens aux politiques protectionnistes émergentes de partenaires commerciaux traditionnellement fiables.
“Nos installations de transformation en Colombie-Britannique fonctionnent à 60 % de leur capacité parce que des marchés que nous avons passé des décennies à développer ont essentiellement disparu du jour au lendemain,” explique Marian Jensen, PDG de l’Association des transformateurs alimentaires de la côte ouest. “On ne peut pas simplement rediriger des produits alimentaires spécialisés vers de nouveaux marchés sans investissements importants et sans surmonter des obstacles réglementaires.”
Le rapport souligne une tendance préoccupante à l’expansion des barrières commerciales non tarifaires – exigences réglementaires, protocoles d’inspection et spécifications techniques qui fonctionnent efficacement comme des restrictions d’accès aux marchés sans violer les accords commerciaux existants. Ces outils subtils mais puissants se sont avérés particulièrement efficaces pour limiter les exportations canadiennes de produits alimentaires transformés sans déclencher de différends formels à l’OMC.
Les secteurs de la transformation des produits laitiers et de la viande connaissent les impacts les plus aigus, avec des baisses d’exportations de 8 % et 6 % respectivement par rapport aux prévisions de croissance. Le secteur des protéines végétales, autrefois annoncé comme la prochaine grande opportunité d’exportation du Canada, a vu ses plans d’investissement suspendus alors que l’incertitude concernant l’accès aux marchés persiste.
Malgré ces défis, certains sous-secteurs font preuve d’une résilience remarquable. Les transformateurs d’aliments spécialisés se concentrant sur des produits à valeur ajoutée avec des allégations spécifiques en matière de santé ou d’environnement ont maintenu leurs trajectoires de croissance, suggérant une voie potentielle à suivre par la différenciation des produits plutôt que par la concurrence des produits de base.
“Les acteurs qui réussiront seront ceux qui pourront adapter rapidement leur production pour répondre aux exigences réglementaires émergentes sur les marchés clés,” note Gervais. “La flexibilité et l’intelligence réglementaire deviennent aussi importantes que l’efficacité de production.”
Le gouvernement fédéral a répondu par des programmes de soutien ciblés, notamment le récemment annoncé Fonds de réponse aux marchés d’exportation alimentaire de 25 millions de dollars, conçu pour aider les transformateurs à identifier et à s’adapter aux nouvelles exigences réglementaires dans les marchés prioritaires. Cependant, les associations industrielles soutiennent que cela ne représente qu’une fraction de ce qui est nécessaire pour un soutien significatif à la transition.
Pour l’avenir, le rapport de FAC suggère que les fabricants canadiens de produits alimentaires doivent de plus en plus considérer les opportunités du marché intérieur alors que les incertitudes internationales persistent. Avec les consommateurs canadiens montrant une préférence croissante pour les aliments produits localement, les transformateurs pourraient trouver un potentiel de croissance plus près de chez eux pendant que les tensions commerciales mondiales se résolvent.
Le secteur alimentaire canadien réussira-t-il à naviguer dans ces vents contraires commerciaux, ou sommes-nous témoins d’une restructuration permanente de l’un de nos moteurs économiques fondamentaux? La réponse réside dans la rapidité avec laquelle notre industrie de transformation peut s’adapter à cette nouvelle réalité du commerce mondial.